- Cha' ferme cette putain de fenêtre on se les pèle merde !
Maman entre en trombe dans ma chambre, se précipite vers la coupable et ferme l'incriminée fenêtre. Bernard, son compagnon, a l'alcool facile et la main lourde. Maman cherche toujours à éviter le conflit entre lui et moi mais ce n'est pas tous les jours évident. Et pour cause : Bernard est un vrai con. De ceux à se moquer impunément de mon existence au point de peloter ma propre mère à table. Inexistante au lycée, invisible à la maison.
Ma mère fait ce qu'elle peut j'imagine. Pas facile d'élever deux gosses dont l'un a disparu dans la nature à la majorité. Mon frère, Jim. Mon père était un fan invétéré du groupe The Doors. Le nom de leur premier enfant est alors apparu comme une évidence. En revanche pour moi ce fut Charly pour Charly Watts, le batteur des Rolling Stone.
C'est marrant quand on y pense. Mais en fait c'est devenu bien moins drôle quand papa est parti. Un banal accident de la route comme il y en a des milliers.Celui ci en tous cas nous a bien amoché. De famille heureuse on est rentré dans la case des cas sociaux, de ceux qui hurlent la nuit car le nouveau copain de maman jette ses canettes à la gueule et n'hésite plus à cogner sans vergogne.
Pourtant c'était une si belle femme ma maman. Une mère à l'ancienne, qui prépare des pâtisseries en robe fleurie et raconte des histoires avant de nous border. Comme les mères à la télé. Mais l'accident lui a flingué l'esprit. Désormais elle plane au Lexomyl et au Xanax, parce que, souvent, l'un ne fait plus d'effet. Une histoire d'accoutumance.
Non, la vie n'est pas facile. Pas comme pour ces connasses du lycée ça c'est clair. Finalement je crois que je les hais. En tous cas suffisamment pour caricaturer Marie Winter dans mon carnet de dessins, mon casque vissé sur les oreilles à écouter la K7 des Cures que j'ai dégoté dans un petit carton rangé au grenier, là où se trouvent toute les affaires de papa : du vieux tourne disque dézingué à la basse poussiéreuse. Quand j'y pense on aurait pu faire une famille incroyable.
Dommage que le camion qui a percuté la 207 ne fut pas du même avis...
Les muscles de mon visage se contractent en un sourire diabolique. Je soulève le croquis de ma nouvelle bourrelle et l'expose à la lumière de ma petite lampe de chevet. Oui c'est parfaitement exagéré, parfaitement monstrueux et parfaitement salvateur. Je me sens mieux.
***
- Encore tes conneries de végan ?
- Végétarienne...
- C'est pareil. Ils le disent à la télé.
Mon abruti de "beau père" se ressert des pattes trop cuites pour accompagner son steak haché saignant. Je mâche précautionneusement avant de déglutir péniblement. Ces repas de « famille », je prie pour qu'ils se finissent toujours le plus vite possible. Pas envie de parler avec Bernard de ses problèmes à l'usine ou de son avis sur l'actualité. Non, ça n'intéresse personne de toute façon.
- Tu seras pas moins grosse de toute façon. C'est des conneries ton régime.
Las, je finis rapidement mon repas. Pas besoin de rétorquer sur la cause animale, il n'y pige jamais rien. Lavant brièvement mon assiette, je la place sur l'égouttoir et regagne ma chambre sous une dernière insulte que j'élude. Tout se fait toujours dans la hâte et la précipitation dans cette baraque.
Quand je ferme la porte derrière moi, retrouvant le cocon apaisant de ma chambre, je m'aperçois que ma vision est trouble. Les grandes eaux à nouveau. Celles qui me font suffoquer en silence entre les quatre murs blancs de cette prison. Les larmes coulent à torrent.
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Charly au pays des enfers
TerrorConnaissez-vous le conte d'Alice au pays des merveilles? Nul doute que la réponse soit positive. Mais saviez-vous que la légende est bien différente de la réalité? On raconte que le pays des merveilles n'est plus ce qu'il fut jadis. Aujourd'hui c'e...