Chapitre 4 - une invitation

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À peine ai je gagné ma place, ralentie et le corps engourdi de fatigue, que le beau visage lunaire de Marie fait obstacle entre moi et la fraicheur réconfortante de mon bureau. Ses grands yeux semblent me sonder.


- Tu as un teint cadavérique.


Souriant faiblement, j'acquiesce. Docile, toujours docile. Faible, très faible. Mais ma vulnérabilité semble lui attirer suffisamment de pitié. Elle n'insiste pas et se retire.

Je croise les bras sur le pupitre et plonge ma tête dans ce coussin improvisé.

La deuxième sonnerie et le cours débute. Une vague histoire de sciences économiques. Je lutte pour ne pas sombrer complètement mais la tentation est si forte que je me laisse aller à simplement fermer les yeux. L'espace d'un court instant. Le noir profond.

Dans mon rêve Marie s'agite comme une poupée, tenue par quelques fils invisibles et se met à chanter d'une voix de crécelle, si bien que toute la classe lui hurle de cesser et lui lance mon beau père au visage, faisant cesser d'office la mélodie i...

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Dans mon rêve Marie s'agite comme une poupée, tenue par quelques fils invisibles et se met à chanter d'une voix de crécelle, si bien que toute la classe lui hurle de cesser et lui lance mon beau père au visage, faisant cesser d'office la mélodie infernale.

Je me réveille quand une main frêle secoue mon épaule doucement d'abord, puis avec plus de vigueur.


- Mademoiselle, qu'est ce donc que ces manières ?


Groggy, j'écarquille les paupières et me retrouve nez à nez face à la remplaçante de notre prof d'éco. Et elle n'est pas tendre.

- Je... Je suis désolée madame !

- On dort chez soi ma chère. En salle d'étude on travaille !

Avec son air pincé et ses petites lunettes, elle abhorre une mine bien trop concernée par la situation au point de me mettre mal à l'aise. Bon sang, c'est bien la première fois que je m'endors comme ça...

Je réitère mes excuses et me tourne, par réflexe incongru, vers Marie tandis que la remplaçante -dont j'ai oublié le nom- retourne à son bureau.

La nouvelle, les bras croisés sur son bureau, me dévisage sans vergogne, une lueur dans le regard.

La fin du cours, la sonnerie, le brouhaha. Je reste un instant interdite devant mon pupitre. Marie n'a pas bougé d'un iota. Je sens toujours son regard pesant sur moi.

- Pourquoi tu ne dors pas chez toi ?

- Pour rien, répond je poliment, je suis très paresseuse.

Je feins un rire forcé. Mais mes yeuxne rient pas, c'est évident.

- Tu n'as pas d'amis ici ? me demande t elle. 

- Ce serait plutôt à moi de m'inquiéter pour toi à ce sujet non ?

- Non. Je ne cherche pas à en avoir.

- Ah... et bien moi non plus.

Marie déploie ses longues jambes croisées et se redresse pour ranger ses affaires.

- Dans ce cas pourquoi ne trainerait-on pas ensemble ?

Ai je bien entendu ? L'une des plus jolies filles de la classe qui voudrait passer du temps avec quelqu'un comme moi ? C'est une blague. Une cruelle farce! 

Je connaissais cette manœuvre. Dans le passé j'eu déjà des « amies »bien généreuses qui cherchaient le faire valoir de service. Forcément on paraît toujours plus belle à côté d'un cageot comme moi j'imagine. Mais Marie n'était pas juste potable, elle était vraiment jolie. D'une beauté étrange et fascinante, de celles que l'on pouvait retrouver dans les peintures préraphaélites de Waterhouse, une beauté éthérée... 

Elle n'avait aucune raison d'avoir besoin d'un élément la mettant en valeur.

- Je ne crois pas que ça ferait du bien à ton image... Puis tu es nouvelle, tu vas avoir plein d'amis si tu laisses le temps passer.

- Mais moi je m'en fiche des autres.

Elle avait haussé le ton d'une manière inhabituelle, cessant son rangement. Avais je fauté quelque part?


- Je suis désolée.

-Pourquoi tu t'excuses ? me demanda-t-elle d'un ton agacé. 

- Je... je ne sais pas, j'ai l'impression de t'avoir vexé.


La nouvelle fronce son joli petit nez mutin, l'air contrarié. En moins de temps qu'il n'en faut, elle se penche vers moi, son visage proche du mien. Je sens son souffle glacial s'épandre sur mon épiderme juvénile. 


- Arrête ce manège, c'est exaspérant, me menace-t-elle.


Je me retiens de m'excuser à nouveau,une flamme sombre frémit dans ses yeux flamboyants.


- Pourquoi t'évertuer à jouer ce rôle ?


Je ne répond pas. Je ne sais pas quoi répondre. J'ai juste envie de pleurer. 

- Viens chez moi.

- Pardon ?

- Chère Charly je t'invite dans ma demeure. Ce soir. Ça t'irait ? annonce-t-elle d'un ton exagérément pompeux. 

Elle coupe mon bref instant de réflexion par un « c'est non négociable ». Soit. Je ne comprend vraiment pas ce qu'elle veut mais la solitude... La solitude perpétuelle, ça, c'est épuisant.


On s'échange nos coordonnés. Enfin, plus exactement, elle me communique les siens. Marie semble être ce genre de personne pour qui l'usage du portable est tout à fait désuet. Je n'ose imaginer en ce qui concerne Facebook ou Twitter au vu de l'air complètement perdu qu'elle arbore quand je lui demande son nom sur les réseaux.

Ce soir, étrangement, je rentre avec le cœur plus léger. Sa maison ne se trouve pas très loin. À vélo j'en ai pour environ 15 minutes en remontant la grande allée. Elle vivait dans le quartier huppé de la ville. Que c'est étonnant. 

Transportée par un élan joyeux, je ne prend même pas la peine de saluer Bernard, ni même maman. Je m'empare de mes affaires avant de redescendre en trombe.




Charly au pays des enfersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant