III. Samedi matin

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15 novembre.

          La musique répétitive et agressive du réveil ne me laisse aucune chance et brise les espoirs que j'ai de clôturer mon rêve. Ma tête encastrée dans l'oreiller est soulignée par une grosse couette à la manière d'un baigneur disparaissant sous la ligne de flottaison. Vu de l’extérieur, je donne sûrement l’impression de me noyer dans cette minuscule piscine de tissu épais . Je m'accorde les minutes nécessaire pour regagner la réalité à coups de positions changeantes, rituel indispensable pour commencer la journée surtout lorsque l'on sait que le froid est prêt à nous mordiller la peau.
         
          Un rapide coup d’œil à mon téléphone m'indique que j’ai reçu un message pendant la nuit. J'oubliais que les noctambules sévissent à partir du vendredi soir. Stéphanie étant l’une d'elle, j'ai peu de chance de me tromper en imaginant que le message est de son fait, elle est bien du genre à vouloir m embarquer dans ses expéditions nocturnes. Je l’accompagne de temps en temps; Ne pas perdre toute vie sociale est un principe fondamental pour la survie de l’espèce ,surtout pour les trentenaires célibataires qui risquent de finir seuls avec un chat .

          Une pression du pouce ouvre la fenêtre de la boîte de réception du téléphone,qui ne se fait pas prier pour me brûler les rétines. De l’autre pouce, je tamise le rétro-éclairage, me permettant ainsi de distinguer quelques écritures sur le pavé lumineux. Sans grande surprise, le nom de Steph se dessine sous mes yeux scellés par le sommeil encore frais, sensation qui vous donne l'envie de rester coller dans les draps et de n'en sortir que pour les nécessités de survie.
Stéphanie me somme, dans un message indéchiffrable, sûrement dû à un mélange d'alcool et de correcteur orthographique capricieux, de venir la rejoindre au McCarthy pub. Je ne sais pourquoi elle tient absolument à me faire rencontrer la gente masculine, surtout qu'elle est aussi seule que moi, malgré tout, elle mit un point d'honneur à me faire rencontrer le grand amour. Pas de chance pour elle, les soirée arrosées de boissons  n'ont jamais été une manière satisfaisante pour moi de tomber sous le charme de quelqu un. Elle essaye encore et toujours, tel un jeu sans fin. Cela nous permet quand même de passer des soirées mémorables.

          Je lui répond succinctement qu'elle finira par succomber à toutes ses javas, mais qu'à la prochaine, je viendrais pour veiller sur elle. Il ne lui faut que quelques minutes pour me répondre que ce soir elle va me dégotter l'amant parfait, celui qui me fera oublier ma vie d’égoïste esseulée, de femme au foyer moderne sans structure en recherche de construction familiale.
          Alors deux solutions, soit elle me provoque pour me faire sortir de mon océan de draps, soit elle me trouve d’une tristesse sans comparaison possible. Je préfère la première possibilité.

          Je me prend à bras le corps et réussi à poser pied à terre à la manière d'un miracle biblique. Ma main effleure le poste de radio qui crépite instantanément et se met à délivrer des nouvelles du monde entier. Un mélange d’attentats, de protocoles politiques incompréhensibles et de froid historique rythme l’édition de ce samedi matin. Le chant de la bouilloire et le fin trait de lumière ayant réussi à se faufiler au travers de mes volets finissent par informer mon corps de l’inéluctable fin de nuit. Mon regard trouble se perd dans les volutes de fumées de ma tasse de thé qui dansent et disparaissent dans des senteurs de fleurs vertes et fraîches. L'infusion me réveille les papilles et comme une suite logique d’événements imbriqués les uns aux autres, mes gestes, mon regard et ma réflexion se font plus sûrs et plus vifs. Je me sens galvanisé par les heures de la journée qui s'offrent à moi. Ce champ de possibilités imprévues et bien souvent incontournables stimulent tout être vivant de ce monde, une aventure quotidienne avec son lot de rencontres, de réflexions et d'anecdotes parfois surprenantes, parfois décevantes, mais toujours excitantes qui font que chaque journée en vaut la peine.

          L'eau tiède ruisselante de la douche parcourant mon corps finit par éliminer le reste de sommeil qui tente de s'accrocher tel un parasite de flemmardise. Ce parasite nocturne finit par couler dans le siphon mêlé au gel lavant senteur de pêche qui embaume la totalité de ma salle de bain et qui dénote fortement avec la saison. L’été semble tellement loin.
          Je saute dans un ensemble décontracté, brosse mes cheveux dont les pointes frôlent la pointe de mes épaules, et je m'active sur un brossage méthodique et quasi militaire de mes quenottes.

          Je vous passe les derniers détails me permettant une intégration discrète a la vie extérieurs et me voilà au volant de ma petite 2cv bleue, qui semble frigorifié par les températures et me prie de bien vouloir la faire vrombir pour enfin se réchauffer de la nuit glaciale. Le starter est le café de son moteur quinquagénaire endolori, mais qui ne mettra pas bien longtemps à donner de la voix. Elle aussi a le droit à ses volutes de fumées matinales, et la chaleur dégagée par la mécanique s’ebranlant sur place commençait à faire fondre la couche de glace s’étant installée sur le pare-brise.
L'ancienne filait à travers les rues dans un joyeux tintamarre qui faisait tourner les têtes tandis que la forme de la carrosserie faisait sourire toutes les personnes ayant eu quelques souvenirs à bord d'une de ses cousines. C’est-à-dire pratiquement tout le monde.
À la suite d'un créneau magnifiquement négocié en douze manœuvres (merci la direction assistée manuelle), j'abandonna ma petite boîte de sardines dans une des rues jouxtant la place du marché. Je n'y vais pas souvent, en tout cas, moins que ce que j’aimerais, mais parcourir les allées du marché m'a toujours transporté. Un mélange d’humeur matinale, d’odeurs végétales, et de mixité générationnelle en font pour moi un lieu d'inspiration inépuisable pour mes nouvelles. C'est également un plaisir très personnel que je n’explique pas. J'aime parcourir les chemins étroits remplis de couleurs éparses, de voix différentes interpellant le consommateur potentiel à coups de prix imbattables et de fraîcheur indiscutable. J'observe, j'échange des sourires polis et je converse au détour d'un étal primeur. Quelques embouteillages de caddies viennent freiner une progression difficile au niveau du fromager jouissant d’une belle réputation acquise par une solide expérience des produits régionaux lui permettant de séduire l'amateur de tomes et de bûches. J'en profite pour faire quelques achats pour les repas de ma semaine qui auront le luxe d’être frais et bio.
Je repars avec un sentiment de journée déjà réussie mais qui n'a pourtant débuté que depuis quelques heures. Ce sentiment que les personnes qui se lèvent tôt et qui accomplissent leurs activités bien avant tout le monde ressentent régulièrement. Ce n'est pas mon cas mais la sensation est encore plus belle.

          Je sens mon portable vibrer dans ma poche, comme une intrusion dans un moment intime et qui vient briser la magie du moment arrivant à son terme. Je vois que Steph est en forme malgré le peu de sommeil qu'elle a dû avoir. Elle aimerait que je l’accompagne se faire couper la tignasse avant d'aller se boire un café en ville. Benoît n’étant pas assez féministe au point de papoter chez le coiffeur, il a préféré passer son tour et me laisse gentiment sa place. Ils sont souvent fourrés l'un avec l'autre mais l’amitié homme/femme a ses limites . Je lui envoie un message pour accepter avec plaisir et l'informe que je passerai la chercher en début d’après-midi. Réponse qu'elle accueille avec une joie non dissimulée traduite par une bonne vingtaine d’emoticones souriants.
La matinée touche à sa fin et ma petite Citroën me ramène à bon port, sans gps, sans technologie abusive et sans extravagance. Volets grands ouverts, l'appartement est transpercé de part en part d'une lumière froide mais stimulante. J’apprécie ses journée sans emploi du temps qui laisse libre cours à ses envies et aux sollicitations extérieurs qui d'ailleurs ont eu raison de la suite de mon samedi.

Grâce a toi Où les histoires vivent. Découvrez maintenant