Chapitre 1

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Mon enfance est morte le jour où je me suis réveillée et où j'ai réalisé que ma maman avait disparu. J'avais six ans. De mes six à quinze ans ce fut une période transitoire où je continuais à chercher le peu d'enfance et d'innocence qu'il me restait, mais je savais au fond que ce ne serait plus jamais pareil. Je savais que j'avais perdu quelque chose d'important et que plus jamais je ne le retrouverais.

A quinze ans, l'infime soupçon de naïveté ou d'espoir qu'il me restait vola en éclat. Et un jour de mai, mon passage dans le monde des adultes eut lieu, un monde impitoyable composé de menteurs et d'hypocrites car même mes propres parents avaient oublié de me dire quelque chose qui ferait basculer ma vie. Mais revenons-en au commencement.

Il pleuvait, mes pieds foulaient le trottoir. Je courais pour échapper aux démons qui me poursuivaient : la panique, l'angoisse et la souffrance.

J'avais l'habitude de courir tous les soirs après l'école pour desserrer l'étau qui m'étouffait, cette angoisse dont je ne connaissais pas l'origine mais qui me pourrissait la vie. Elle se manifestait par diverses obsessions comme tripoter mes boucles d'oreilles, les anneaux argentés qui ne me quittaient pas, compter ce qui m'entourait : les rayures du tee-shirt d'un interlocuteur, mes respirations, les carreaux noirs du carrelage, les poteaux dans la rue, les fenêtres, les tâches de rousseur, les grains de beauté... Certaines nuits je ne dormais pas et je regardais les minutes défiler sur mon réveil, c'était fascinant, je ne pouvais pas m'en empêcher. Avec la nourriture je triais toujours mes haribos par couleur, je me sentais obligée d'éplucher soigneusement tous mes fruits même les raisins à cause des pesticides, et je ne supportais pas qu'il y ait le moindre bout de feuille dans mon thé. 

Les larmes échappées de mes yeux voltigeaient autour de moi, portées par la force du vent. Au détour d'une rue, j'aperçus mon immeuble, je pris de la vitesse, traversai la route, sans regarder, il n'y avait de toute façon jamais de voiture qui passait dans cette rue. Mais vous devez le savoir, la vie ne tient qu'à un fil et ce jour-là il y eut une voiture. Certains diront que c'était le karma, d'autres que je n'étais qu'une gosse inconsciente, chacun donnera son pronostic mais ce qui se passa ensuite, personne n'aurait pu le prévoir.  

Le temps parut suspendre son vol. Les gouttes de pluie ne s'écrasaient plus sur le sol, les passants n'avançaient plus, et la voiture qui aurait dû me tuer fut stoppée dans son élan meurtrier. J'étais là, plantée au milieu de la chaussée, plus rien ne bougeait autour de moi, quand tout d'un coup le paysage se mit à tourner et bientôt je ne fus plus dans la rue, mais dans une pièce d'une blancheur immaculée. Le mobilier était succinct : un lit, une table de nuit, un placard et des machines dont la multitude de tuyaux s'enroulaient tels des serpents autour des poignets d'une jeune fille échouée sur le lit. Elle était très pâle, ses cheveux blonds et soyeux auréolaient son visage. Je m'approchai d'elle et lui pris la main, sa peau était douce mais glaciale. Le charme fut rompu lorsqu'une femme en larmes entra dans la pièce accompagnée d'un homme que je devinais être son mari. Ils eurent une discussion agitée évoquant des frais d'hôpitaux onéreux, un coma prolongé, un réveil incertain voire impossible, et la possibilité de devoir débrancher les machines qui maintenaient leur fille en vie. A ces mots, la mère s'effondra, elle tomba et il me sembla que rien n'aurait pu la relever. Je ne compris pas cette scène avant de me retrouver à nouveau au milieu de la route. Le temps avait repris son cours et la voiture fonçait à mon encontre. La lumière se fit soudain en moi : cette jeune fille à la pâleur macabre c'était moi dans quelques mois, quelques années tout au plus, la femme qui pleurait c'était ma mère avec quelques rides que je ne reconnaissais pas et l'homme, mon père, un peu plus voûté qu'aujourd'hui.

Je ne pus y réfléchir plus longtemps car je sentis une force herculéenne me tirer vers l'arrière et me sauver, derrière moi se tenait un homme immense tout de noir vêtu, un masque ensanglanté cachait son visage. Un flot de questions se bousculaient dans ma tête mais il disparut avant que je n'aie pu les lui poser, me laissant là, tremblante d'émotion. Je me repris peu à peu et me rapprochai de mon immeuble. Une fois dans ma chambre, mon rythme cardiaque ralentit enfin, mon corps se détendit, peu à peu la tension s'évacua.

Voilà pour le chapitre 1, j'espère qu'il vous a plu, n'hésitez pas à commenter !

Le Dérapage Où les histoires vivent. Découvrez maintenant