Chapitre 14

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Un renversement de situation survint. Quelques heures plus tard, après une attente angoissante nous apprîmes que ma sœur était dans le coma. Si l'on en croyait ma première vision c'était moi qui devais être dans le coma, mais apparemment j'avais tellement modifié l'avenir que ma sœur était entre les deux mondes. La seule chose qui me consolait, et c'était maigre, était de me dire qu'au moins elle n'était pas morte et qu'il y avait encore de l'espoir.

Les mois qui suivirent ma vie ne tournait qu'autour des visites que je lui faisais. Après l'école je prenais le bus jusqu'à l'hôpital. Je m'asseyais à côté d'elle, je lui enfilais un écouteur et gardais l'autre et nous écoutions de la musique ensemble. Je restais là pendant des heures. Dans des accès de désespoir je me disais que ça ne servait à rien, que c'était comme écouter de la musique avec une poupée de plastique. Parfois je m'endormais là et le lendemain quand la lumière du jour baignait la pièce je me réveillais en sursaut et je retournais à l'école comme ça, sans même être repassée par chez moi.

Un jour, alors que la fatigue me submergeait, je m'allongeais à ses côtés, avec « Imagine » de John Lennon dans les oreilles et je lui pris la main. La pensée que c'était un peu morbide m'effleura mais je la repoussai, après tout, elle était encore vivante. Je m'endormis et je fis un rêve étrange. Le même que la fois précédente : j'étais dans la rue avec la dame seulement couverte d'un arceau de fer, elle avançait vite, il neigeait. Elle ne semblait pas avoir froid. Je la suivais, nous arrivâmes au coin de la rue, je sentais la pression monter dans ma cage thoracique. Elle se tourna vers moi et me fit un signe de la main.

« Je dois y aller ? »

J'essayais de gagner du temps mais en levant la tête vers elle dans l'attente d'une réponse je réalisai avec effroi que ses lèvres étaient cousues. En effet un fil noir les emprisonnait. Je reculai effrayée. En me retournant je vis enfin ce qui m'attendais derrière le coin de la rue. Un banc sur un monticule herbeux avec une étendue d'eau devant dans laquelle le soleil rougeoyait, l'eau semblait à portée de doigt car on voyait son bleu et le vert de l'herbe se superposer. Sur le banc une jeune fille plutôt mince. Je m'approchais timidement. Au moment où elle tourna la tête je compris que c'était Camille, ma sœur.

« Pourquoi vouloir mourir ? lui demandais-je.

- Pourquoi vivre ? me répondit-elle la voix lasse.

- Si tu choisis de vivre je te promets d'être plus là pour toi que je ne l'ai jamais été, lui dis-je, une lueur d'espoir dans la voix.

- Justement c'est ça le problème, faut que tu vives ta vie, faut que tu m'oublies, là tu t'empêches de vivre pour moi, tu t'oublies. Me reprocha-t-elle un trémolo dans la voix.

- Mais c'est comme ça que je fonctionne, chaque fois que j'arrive à réparer quelqu'un c'est moi que je répare, c'est mon cœur que je recolle. S'il te plaît reviens ! Comment je vais vivre moi si tu meurs ?

- De toute façon même avant ma tentative de suicide j'étais morte, de l'intérieur.

- Oui mais t'avais encore une chance d'aller mieux, de guérir et de revivre plus tard, et si tu choisis de te réveiller de ton coma tu auras toujours une chance, la possibilité d'un avenir heureux même dans vingt ans mais si tu choisis la mort alors ça sera bel et bien fini.

- Mais le paradis existe non ? C'est bien ce que nous disent nos parents. Elle partit dans un grand rire ironique.

- Je ne sais pas, dis-je songeuse en pensant à la brève période durant laquelle j'avais été un ange. En tout cas s'il existe je pense pas qu'il soit aussi parfait que ce qu'on imagine. »

J'ouvris les yeux et regardai autour de moi, j'étais de retour dans la chambre d'hôpital, je tenais toujours la main de ma sœur. Dehors il faisait nuit noire. J'appelai mon père pour qu'il vienne me chercher.

Le Dérapage Où les histoires vivent. Découvrez maintenant