9. Malade

8 2 0
                                    


-Ne bouge plus !

J'arrête de me tortiller sur la vieille balançoire et laisse mon malade me faire le portrait. Fleur et Gaby sont dans une dispute animée. Dios n'est pas là. Je le fais remarquer. Fleur déglutit et lance un regard à Gaël qui hausse les épaules. Gaby me répond d'un ton léger :

-Consigné à résidence.

Pourquoi ? C'est la question qui me brûle les lèvres. Mais chacun sa maladie, comme on dit. Je laisse Gaël fixer mon portrait sur la vieille balançoire du parc de l'hôpital. Je me tiens droite et réfléchis. Quelques minutes plus tard, je ne peux plus me retenir de parler. J'oriente la conversation ailleurs :

-Mon frère Yann adore peindre.

-Ha oui ? répond distraitement Gaël.

-Mmh. Il dessine, il peint... Il veut se mettre à la sculpture.

-Il t'a déjà dessinée ?

-Il préfère dessiner ma sœur Louise, elle est plus docile et jolie.

-Ha ?

-Oui, elle a toujours des tas d'oiseaux sur les épaules, et elle sourit tout le temps. Ça fait des peintures pleines de couleurs et de reflets. C'est magnifique.

-Il a des artistes préférés ?

-Pleins. Mais disons, Renoir.

-Impressionnisme ?

-Un peu. Van Gogh aussi.

Gaël se marre :

-Les peintres martyrs ?

-Les Tournesols.

-Tu as une œuvre favorite ?

-Nuit étoilée sur le Rhône.

Petit silence entre nous. Fleur continue de hurler à Gaby que les One Direction sont une abomination de la nature, sous les éclats de rire de son ami. Je baisse les yeux sur mes mains.

-Non, lève les yeux ! Les yeux sont importants. Surtout les tiens.

Je lève donc mes yeux. Fleur vient se mettre sur la balançoire à côté de moi :

-Pourquoi tu es revenue ?

-Je te l'ai dit, je veux changer d'atmosphère...

-Non, je veux dire, nous voir ?

-J'en sais rien. Vous m'avez autorisée à revenir.

-Mais rien ne t'y forçait.

-J'avais envie.

Nous nous taisons. Puis Gaby roule vers nous, très vite, m'attrape la main et m'emmène dans son élan. Je me lève brusquement en manquant de me casser la gueule. Gaby s'écrie :

-Tu finiras de lui tirer le portrait un autre jour !

Nous courons vers l'hôpital. Gaby ne m'a pas lâchée :

-Tu sais ce qu'il te manque ? Une chambre.

J'ouvre la porte. Non, plutôt, je fonce dans la porte, avec violence. Gaby m'a lancée vers elle, et je me la suis prise en plein fouet. Je me relève en me frottant le nez. J'inspecte l'intérieur. Une salle pas très grande, grise, humide et sombre me fait face. Je fronce le nez. Ça sent pas la rose. Ça doit faire plus de 3 mètres sur 3 mètres. Je me retourne vers les autres. Fleur esquisse un petit sourire :

-C'est le mieux qu'on ait trouvé, désolée...

-Oui, c'est la seule salle inoccupée, renchérit Gaby.

-C'est un vieux placard à balais en fait. Sauf qu'il est trop humide, et que l'hôpital a la flemme de le restaurer pour l'instant. Le verrou est cassé, mais...

Ils se taisent. J'y crois pas. Un vieux placard à balais ? Je vais avoir ma « chambre » ici ? Je comprends pas. Enfin, si, mais le symbole, derrière ça... Une chambre clandestine. Ils me proposent une place dans leur univers. Je relève la tête :

-Pourquoi j'aurai besoin d'une chambre ici ?

Ils me regardent. Gaby a l'air grave, Fleur désolée, et Gaël prend finalement la parole :

-Parce que tu es malade Luce. Mais qu'aucun hôpital ne peut comprendre.

Fleur prend mes mains dans les siennes :

-Nous, si.


Je passe le pas de notre minuscule appartement en m'étirant. Un son d'explosion m'accueille. Je sursaute et lance un regard à la salle de bains, d'où provient le son. Mélanie sort en trombe, les cheveux en bataille et les yeux pleins d'étoiles :

-Ça a marché !

Mon ange est couverte de noir, ses mains tiennent un minuscule écran, ses joues sont écorchées et couvertes de crasse. Je largue mon sac et fonce ouvrir les fenêtres. Nathan s'est mis à pleurer et Louise a embarqué ses cages de piafs dans l'antre maternelle. Je manque de renverser un chevalet qui traînait devant une fenêtre, vocifère et laisse entrer l'air dans l'appartement enfumé. Quand l'air devient respirable, je me tourne vers ma sœur :

-Tu voulais faire quoi, au juste ?

-Tu vas te fâcher.

Pourquoi tout le monde semble penser que je vais me mettre en colère ? Me suis-je déjà mise en colère de toute mon existence? Je lui souris :

-Dis.

-De la dynamite.

Je hoche la tête. Fous. Ils sont tous fous.

-Mais pas un truc qui peut faire exploser l'immeuble ! Une dyna à faible densité !

Mabouls. Une famille de mabouls.

-Un truc avec un écran, tu vois, avec un minuteur ! Parce que sinon, juste avec une mèche, c'est simple...

Complètement timbrés.

-Mais pour ça, j'avais besoin de matos, tu vois, et puis je savais pas si ça allait péter au bon moment...

-Donc tu as préféré rester sur le lieu pour vérifier ?

Elle s'arrête de parler et me fixe. On dirait que je la réveille d'un voyage inter-stellaire. Elle bredouille :

-Tu es en colère ?

Pourquoi, pourquoi ? Pourquoi pense-t-on toujours que je vais me mettre en colère ? Je murmure :

-Non, je ne suis pas en colère, mais je m'inquiète pour toi, tu vois.

Je lui prends doucement les épaules :

-Ne fais plus exploser des trucs dans la maison, d'accord ?

Elle hoche la tête, rassurée. Je la prends dans mes bras pour faire bonne mesure. Je vois Nathan commencer à sérieusement s'intéresser au repas de ce soir du coin de l'œil. Je murmure à Mel :

-Tu t'occupes des petits ?

Mel s'éloigne en acquiesçant. J'ouvre la salle de bains et inspecte l'intérieur. Le bord de la baignoire a un peu noirci, des débris de verre et autres matériaux sont éparpillés. La fenêtre est ouverte. Je ramasse les bouts de verre, nettoie les traces noires, en profite pour passer un coup sur la fenêtre. C'est en sortant que je réalise que je viens de nettoyer les traces d'une explosion dans ma maison, produite par ma petite sœur, avec tout le naturel du monde.

LuceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant