Rentre Avant Minuit

L'inter canyon

4 mois. Cela faisait 4 mois que la mère de Ruthée était morte. Elle avait été agressée dans une rue de Kanili, une cité sombre non loin du pauvre quartier où la jeune fille habitait encore. De la fenêtre de sa chambre, en haut d'un immeuble en décomposition, les vallées vertes s'étendaient à perte de vue.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces vallées ne sont ni calmes, ni fertiles, ni agréables à regarder. Premièrement, celles ci correspondent aux canyons abrupts dans lesquels le vent s'engouffre en tourbillons pour former des vortex dont il faut toujours se protéger. Le sable vole à une vitesse folle, et brûle la peau à la moindre exposition.

Ensuite, les terres ne sont pas cultivables, sinon, la pauvreté n'aurait pas atteint les habitants de la région. Le vert fait référence au cuivre oxydé recouvrant les pentes des canyons, un vert qui était d'ailleurs réputé comme dangereux. On dit qu'il est utilisé jusque sur Pelma pour tuer les rats et les nuisibles. Le seul moyen de transport qui reliait Ruthée au reste de la planète restait donc le train.

Pour faire court, rien n'était bon sur Qutgal, cinquième planète du système H22. Le désert régnait en maître sur la surface, percé par de petites villes éparses, où seuls vivaient ceux sans espoir. Au contraire des riches, qui avaient fait creuser à différents endroits du sol ou du canyon, des cités troglodytes hors du temps et des éléments.

Revenons en à Ruthée. Elle avait dû tant bien que mal se remettre de la mort de sa mère, même si elle portait toujours ses habits ocres, couleur du deuil. Son père, un homme fort qui avait déjà repris sa vie en main, travaillait dur pour pouvoir ramener de quoi manger, mais surtout pour pouvoir payer le loyer de leur petit appartement. Il se situait au milieu du Canyon Est, près des mines de sel et de cuivre, dans lesquelles travaillait presque toute la ville, dont son père Sullivan.

L'adolescente avait seize ans, et avait de terminé il y a un an le cursus obligatoire que chaque famille avait obligation de payer.

Un peu avant la mort de sa mère, oncle Roland lui avait proposé de travailler dans son atelier de mécanique. Elle nettoyait et huilait des pièces diverses de machines servant à la mine de sel. Oncle Roland ne la payait pas beaucoup mais au moins elle avait quelque chose à faire de ses journées, ses années d'école imposées étant écoulées car en ces temps de chômage, les jeunes rôdaient souvent en ville, parfois pour vider les poches de personnes qui avaient le malheur de croiser leurs chemins.

Ce jour-là, Ruthée rentra plus tard que prévu du garage. Son père était à la maison, en train d'écouter d'une oreille distraite les informations journalières sur la fréquence 76. La voix du transpondeur crachait des résultats de production, de vente, ou d'achat, que personne ne possédait ici. Lorsque l'adolescente franchit le pas de la porte, elle remarqua immédiatement la mine inquiète de son père.

– Ruthée, assieds-toi, dit-il, en lui indiquant le tapis qui leur servait de canapé.

– Qu'est-ce qu'il y a ?

Le père soupira avant de commencer sa phrase.

– Ruthée, ma chérie, tu sais que dans la vie, lorsque la vie nous noie de choses mauvaises, il faut remonter à la surface et continuer à vivre.

Ruthée était troublée :

– Je ne vois pas où tu veux en venir.

– Voilà, j'ai retrouvé l'amour, et nous irons vivre ensemble, en famille.

Elle était vraiment inquiète, ça ne lui avait jamais effleuré l'esprit que son père prononce une telle chose.

– Quand ça ?