Rentre Avant Minuit

Le Jardin Pétrifié de Jimndapo-Ar

Ruthée tira son père par la manche pour lui intimer de la suivre. Ils s'arrêtèrent dans un coin discret, derrière une colonne d'imitation romaine.

– T-Tu es magnifique ma chérie.

– Je ne suis pas venue pour parler de moi, coupa la jeune fille, abandonnant les bonnes manières au profit d'un ton sérieux. Lara, tu l'aimes ou pas ?

– Je l'aimais, avoua son père à mi-voix.

– Tu sais ... Qu'elle te trompe ?

– Oui, chérie, répondit-il tristement. Avec un autre veuf.

– Et tu ne fais rien ?

– Que veux tu que je fasse ? Lorsque nous sommes partis, j'ai vendu les meubles et l'appartement, après avoir quitté mon travail. Je n'ai plus le confort de choisir ma femme aujourd'hui.

Ruthée lisait à présent la culpabilité en lui, mais continua ses reproches. Elle avala sa salive et reprit :

– Et tu es au courant, de ce qu'elles me font faire, Lara et ses filles ?

– Oui, bien sûr, mais je ne voulais pas te voir comme ça, donc je t'ai évitée pendant longtemps. Ma chérie, sache que plus j'y pensais, plus je me rendais compte de leur cruauté. Je te demande pardon.

– Tu n'as rien empêché d'arriver quand même.

Sullivan ouvrit la bouche, expira, puis la referma.

Ni la fille, ni le père ne voulait finir la discussion. Au bout d'un trop long silence, le père tourna les talons et partit en direction de la sortie, laissant Ruthée seule.

Elle resta plantée là le temps d'assimiler ce que venait de dire son père. Il était déjà au courant et n'a pas agi. L'homme fort qui travaillait aux mines avait changé.

Le valet qui gardait tout à l'heure la porte du fumoir s'avança vers Ruthée avec un de ces plateaux en argent.

-Vous allez bien Mademoiselle ?

Pas la peine d'en remettre une couche...

En guise de réponse, elle se servit une des flûtes de champagne bizarre, en but le contenu d'une traite, et reposa la flûte vide un peu trop fort sur le plateau qui trembla.

Ensuite elle s'éloigna du valet, dans la direction opposée de la salle de bal, pour s'engouffrer dans un des larges couloirs du palais. Elle erra un moment entre les tableaux des prédécesseurs du roi, tentant de donner du sens à ses pensées. Au bout d'un quart d'heure, elle arriva pour la deuxième fois à un endroit qui avait auparavant attiré sa curiosité.

C'était un long couloir où d'un côté, on voyait défiler des portes sur lesquelles il y avait le nom de divinités anciennes. Mais de l'autre côté du, derrière des arches de style vénitien, on pouvait voir s'étendre en dessous l'entièreté de la salle de bal car la coursive carrée en faisait le tour.
Elle s'appuya sur la rambarde et observa un moment les gens danser en contre-bas au rythme d'une chanson mélancolique.

Du coin de l'œil, Ruthée détecta du mouvement. Elle vit quelqu'un s'avancer vers elle de l'autre côté de la coursive. Elle n'avait envie de voir personne, et encore moins le valet intrusif avec son plateau en argent.

Ruthée se retourna pour suivre un couloir qu'elle connaissait à présent et qui menait à un escalier.
Le jeune homme qui tentait de la rejoindre accéléra le pas et se mit à lui courir après.

"Mademoiselle !" Cria-t-il "Vous avez laissé tomber votre broche"

Ruthée s'arrêta, mit sa main dans ses cheveux mais ne trouva pas la rose. Elle se retourna et se retrouva nez à nez avec Yvij, heureusement, ce n'était pas le Valet. Ruthée prit la broche des mains du jeune homme, peut être un peu plus violemment que ce qu'elle voulait.