Chapitre 1 - Montmartre

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Ce qu'elle remarqua en premier, ce fut la couronne couleur de sang frais, taguée sur le mur de la cathédrale là où elle aimait habituellement s'installer.
Cassandre pencha légèrement la tête, plissa les yeux. La peinture n'était pas encore sèche ; quelques gouttes, attirées vers le sol, renforçait l'aspect barbare du graffiti.
- ... ce pourquoi je m'entretiendrai personnellement vendredi avec le Conseil pour prendre des mesures contre le groupe qui se fait appeler « les Catacombes », déclamait la très reconnaissable voix de Merheen Kylial depuis les hauts-parleurs. En tant que Maire de l'Enclave et représentante du secteur Administration, je pense qu'il est primordial de condamner une fois pour toutes les agissements honteux de ce soi-disant « 8e secteur » autoproclamé et de ce trafic clandestin...
La jeune femme baissa les yeux vers le message accompagnant la couronne, peint du même rouge.
LE ROI DES CATACOMBES RÈGNE SOUS LA VILLE
Une chose est sûre, pensa-t-elle, c'est qu'il n'a pas peur de ceux qui règnent à la surface.
Elle hésita une seconde, puis finit par s'asseoir sur les marches de marbre, posant sa lourde arbalète auprès d'elle. Depuis le plateau en contrebas, on aurait presque dit que la couronne était soigneusement posée sur son crâne.
Puis, elle décrocha de son dos le carquois contenant ses carreaux, ainsi que son couteau.
À peine quelques secondes plus tard, Cassandre était entièrement concentrée sur sa tâche, ne prêtant plus aucune attention au monde extérieur, sachant que personne n'oserait de toute manière approcher.
Munie de sa dague d'une vingtaine de centimètres, elle raclait la hampe d'un carreau, de la pointe jusqu'à l'hampenage, dans un crissement qui faisait serrer les dents des passants.
Une fine couche de poussière rougeâtre venait se déposer sur le manteau noir de la jeune femme, qu'elle balayait de temps à autre d'un revers de main négligent.
Elle vit une ombre passer près d'elle, puis un crachat s'écraser non loin de sa bottine.
Cassandre ne prit pas la peine de lever les yeux, et n'interrompit pas sa besogne.
L'homme, arborant un brassard vert, la fixa avec mépris un instant de plus, avant de s'éloigner vers l'entrée du centre de distribution qu'était devenu Montmartre.
Cassandre retint un soupir d'énervement.
C'était le septième de la semaine, le seizième depuis le début du mois, et elle avait perdu le compte au cours des années.
Malgré cela, ses traits ne laissaient transparaître aucune émotion, et son visage, comme à l'accoutumée, était sombre et antipathique.
Cet incident lui avait pourtant rappelé qu'elle avait des problèmes bien plus importants en attente.
Cela faisait une semaine qu'elle n'avait pas vu Lukas, son partenaire, et trois jours qu'elle n'avait pas donné de nouvelles à la Garde.
Son oncle devait être fou d'inquiétude.
Cassandre eu un imperceptible rictus en songeant à l'inévitable conversation qu'elle devrait avoir avec lui, à propos de son escapade de ces trois derniers jours.
Ses boucles blondes effleurèrent le brassard sombre, quasi invisible, sur la manche de son caban noir, qui la protégeait du vent insidieux du début de journée.
Elle n'allait évidemment pas pouvoir lui dire qu'elle les avait passé hors de l'Enclave.
La jeune femme réfléchissait depuis quelques jours au mensonge qu'elle allait présenter à son oncle, et au reste du monde, mais aucun ne la satisfaisait.
Un médecin du secteur Médical lui avait plus ou moins légalement accordé une attestation de non-aptitude à assurer sa fonction de Chasseur pour une durée indéterminée, mais le soucis, c'est qu'elle utilisait ce joker depuis déjà trois mois. Elle savait très bien que l'excuse de la maladie ne suffirait pas cette fois-ci.
Elle laissa son regard glisser sur son arme, son arbalète de métal sombre, astiquée avec patience et soin.
Quatre.
C'était le nombre de Passés qu'elle avait dû éliminer lors de sa virée de l'Autre-côté, cette fois-ci.
Elle s'évertuait à retirer le sang séché qu'elle n'avait pas eu le temps de nettoyer là-bas, trop occupée à protéger sa vie.
Beaucoup d'habitants de l'Enclave voyaient les Chasseurs comme des monstres passant leur temps à tuer des Passés, pour le plaisir plus que pour le besoin.
Seulement, peu de personnes connaissaient l'Autre côté et ses lois.
Presque aucun ne réalisait que si les Passés venaient à faire front commun, aucune muraille ne pourrait les empêcher de balayer l'Enclave comme un fétu de paille.
Son périple de ces derniers jours lui avait momentanément fait oublier les insultes, les regards et l'animosité des autres secteurs envers le sien.
Le commandement de la Garde travaillait pourtant main dans la main avec celui de l'Enclave, mais le secteur des Administrateurs, représenté par Merheen Kylial, s'évertuait à discréditer le rôle des Chasseurs comme elle.
Son oncle Alexander était le bras droit du chef de la Garde, et elle l'entendait souvent jurer contre cette femme.
Son oncle. Qui avait dû la chercher partout, et qui attendrait sûrement plus qu'un « désolé. je ne me sentais pas bien ».
Elle savait très bien que son oncle ne la dénoncerait pas au secteur pour ses combines, mais s'il tentait de la protéger, il s'exposerait aux mêmes sanctions qu'elle risquait aujourd'hui : mensonges envers le secteur et l'Enclave, passage illégal de l'Autre-Côté, usage du statut de Chasseur pour un usage personnel, et même, si elle remontait plus en arrière, non assistance à personne en danger et complice involontaire d'homicide.
En bref, de très lourdes sanctions.
Les rayons du soleil furent soudain interrompus dans leur course:
- Je rêve, fit une voix courroucée dont elle n'avait pas vu arriver le propriétaire, où est-ce que tu étais passée ?! Putain Cassie, on te cherche depuis des jours!
Cassandre leva la tête, l'air un peu étonné, et se retrouva face à un jeune homme d'à peu près son âge.
Lukas avait vraiment l'air furieux.
Ses cheveux noirs paraissaient encore plus désordonnés qu'à l'accoutumée, et ses yeux gris obscurcis de cernes avaient l'air de vouloir la foudroyer sur place. Il ne portait aucune arme, mais arborait lui aussi le brassard noir de la Garde sur son éternel manteau clair, ainsi qu'un communicateur à son poignet.
Il n'attendit d'ailleurs pas sa réponse pour s'en servir.
- Alexander, c'est bon, je l'ai trouvée. À Montmartre. Oui, oui elle a l'air d'aller bien. Oui, je la ramène à l'Opéra. Oui. À tout de suite.
Le jeune homme se reconcentra sur Cassandre, qui, à part ranger ses carreaux d'arbalète dans son carquois, n'avait pas bronché.
La colère et l'inquiétude livraient bataille dans ses yeux.
- Tu te rends compte que ça fait trois jours que ton oncle et moi te cherchons dans toute l'Enclave?
Cassandre soupira, répondant d'une voix égale.
- Bonjour, Lukas.
- Non, mais sérieux, Cassie, où est-ce que tu étais ? Tu ne peux pas juste disparaître pendant des jours et revenir ici comme si de rien était!
- J'avais besoin de faire un break.
- Mais où? Tu n'étais pas à ton appartement!
- Je ne voulais juste pas ouvrir.
- Écoutes, je sais que tu n'étais pas chez toi, je suis entré.
- Attends, quoi? Comment?
- Je savais déjà forcer une serrure avant l'Épidémie. Ta porte est extrêmement simple à ouvrir, pour information.
- Tu as crocheté ma porte?!
- Évidemment que j'ai crocheté ta porte! Tu avais disparu depuis deux jours!
Le ton était monté entre elle et son partenaire, et quelques civils commençaient ralentir en les observant.
Cassandre, s'en rendant compte, reforma son masque de neutralité.
- Qu'on soit bien clair, dit-elle en n'essayant pas de voiler la menace sous jacente, tu n'avais pas le droit de faire ça. Je n'aurai jamais été lire un de tes journaux, moi.
- Tu n'as pas le droit de dire ça ! Ce n'est pas du tout la même chose! Je m'inquiétais vraiment, Cassie !
Cassandre inspira et essaya d'évacuer la peur qui l'avait envahie en imaginant Lukas marcher dans son salon.
Les affaires d'Ethan y était toujours. Elle n'avait pas pu se décider à s'en séparer.
N'y penses pas.
- Bon, écoutes , fit-elle après un moment, je sais que je te dois des excuses. Pour ça comme pour pas mal d'autres choses. J'ai pas joué franc-jeu avec toi, mais je ne suis vraiment pas prête à retourner en mission pour le secteur. (Elle sentit la déception de son partenaire, sa frustration.) Mais... bon, on pourrait recommencer à s'entraîner la semaine prochaine, si tu veux?
Dire ces mots lui coûta beaucoup. Elle n'avait plus participé à la moindre activité de la Garde depuis l'accident, trois mois plus tôt. Mais elle savait aussi qu'elle devait bien ça à son partenaire.
Lukas en resta bouche bée.
- Sérieusement ? (Un énorme sourire fleurit lentement sur ses lèvres).
- Je pense que ce serait bien, dit-elle, se demandant si c'était vraiment une bonne idée.
La colère de Lukas semblait avoir fondu comme neige au soleil.
- Ce serait super!
Puis, il sembla se rappeler de quelque chose d'important, et grimaça, semblant se rendre compte qu'ils avaient perdu de précieuses minutes.
- On doit aller à l'Opéra, fit Lukas, regardant sa montre, on va être en retard.
- Pourquoi?
- Je t'expliquerai en chemin, c'est un peu compliqué, il faut qu'on y aille.
Cassandre eut un rictus nerveux : elle n'avait toujours aucune excuse à présenter à son oncle. Se rendre à l'Opéra, la place forte de la Garde, n'était pas stratégiquement pas une bonne idée.
- Lukas, je ne sais pas...
Mais d'un autre côté, la curiosité la poussait, et en visualisant les lieux, le visage familier d'une femme traversa son esprit, comme une décharge électrique.
Elle n'avait pas réussi à trouver ce qu'elle cherchait de l'Autre-Côté, elle n'aurait donc pas d'autre choix que de le prendre à la Garde. Elle devait y aller.
Espérons que j'arriverai à éviter Alexander.
Le jeune homme lui tendit son carquois, et le regard qu'il lui lança la décida.
Cassandre ramassa son arbalète, et partit d'une démarche réticente.
Une ombre de sourire passa sur les lèvres de Lukas.
- Pendant une seconde, j'ai cru que j'allais devoir te traîner jusque là bas.
- N'exclus pas cette possibilité.
- Au pire, tu n'es pas très lourde. Mais ça va t'intéresser.
Le jeune homme eut la satisfaction de voir se peindre la surprise sur le visage de sa partenaire, quand il lui transmit la nouvelle.
- Hier soir, un avion a atterri à Roissy.
Cassandre laissa une seconde passer avant de répondre d'une voix neutre, masquant sa curiosité.
- D'où venait-il?
Tous deux descendaient les rues au pas de charge, les habitants des autres secteurs s'écartant devant eux comme devant des fauves.
La voix grave de Lukas lui parvint même malgré la clameur de la rue, plus bruyante qu'à l'accoutumée suite à leur passage.
- Délégation américaine. Apparemment, ils en ont envoyé aussi à Londres et à Berlin. Ils ont une annonce à nous faire. (Il lança un coup d'oeil à sa montre et grimaça). Dans dix minutes.
- Détends toi, on arrivera à temps.
- Peut-être, mais ton oncle veut te voir avant le discours.
Cassandre sentit son sang se glacer, et elle ralentit subitement.
Alors ça, ce n'était pas dans ses plans.
Alexander ne la lâcherait pas, du moins pas sans explication, et pour l'instant, elle n'en avait pas.
Lukas allait la conduire tout droit dans la gueule du loup.
Elle s'arrêta d'un coup, et le jeune homme, surpris, fit encore deux pas avant de lui lancer un regard perplexe.
- Qu'est-ce que tu fais?
- Je ne peux pas aller voir Alex.
Le jeune homme la regarda comme si elle avait perdu l'esprit.
- Quoi?
- Je ne peux pas. Il va me poser des questions auxquelles je ne peux pas encore répondre.
Lukas semblait vraiment perplexe, comme s'il ignorait que les mots qui sortaient de sa bouche pouvaient se placer dans cet ordre.
Il se reprit cependant, et croisa ses bras sur sa poitrine.
- Ok, c'est quoi ça?
- Écoute, je suis désolée, mais je ne peux pas y aller. On se verra plus tard, d'accord?
Cassandre, sans attendre sa réponse, tourna les talons.
Une main la retint aussitôt par l'épaule et l'empêcha de faire un pas de plus.
Elle se dégagea énergiquement, se tournant pour lancer un regard incendiaire vers Lukas.
Voir que celui ci avait l'air plus énervé qu'elle la fit hésiter un instant. La voix du jeune homme lui parvint soudain sourde et menaçante.
- Je te jure que ce que je disais tout à l'heure n'était pas une menace en l'air. Si tu ne me suis pas, je t'embarque de force.
- Alors nous sommes dans une impasse, siffla t-elle en retour, parce que je n'irai pas voir Alexander.
- C'est quoi ton problème, Cassandre?
Elle sentit toute la pression contenue en elle exploser dans sa réponse.
- Toi et Alexander, voilà mon problème!
En voyant Lukas rosir de colère, Cassandre crut un instant que celui ci allait la gifler.
Les mots qu'elle avait prononcé étaient durs, injustes.
Lukas et Alexander étaient sa famille. Lukas était son partenaire, il lui avait sauvé la vie plus de fois qu'elle ne pourrait compter, et Alexander avait toujours pris soin d'elle comme de sa propre fille.
C'est pour celà qu'elle ne pouvait pas leur en parler, les mettre en danger.
Elle savait, se le répétait pour se convaincre, que le mieux pour eux serait qu'elle coupe les ponts, plutôt que de continuer à leur mentir sans arrêt. Mais elle n'arrivait pas à se décider.
Face à elle, le jeune homme serra les poings, inspira profondément.
Lukas savait que quelque chose clochait chez elle depuis ces trois derniers mois, mais il n'avait jamais réussi à lui tirer la moindre information, et l'avait même vue s'éloigner de lui petit à petit.
Ne pas savoir ce qui lui était arrivé le rendait fou.
Ses traits se détendirent, et même si sa colère restait tangible, il lâcha, du bout des lèvres.
- D'accord.
L'impression de trahir Alexander lui brûla la gorge en prononçant ces mots.
- Si tu m'accompagnes, poursuivit-il, je ne t'obligerai pas à aller le voir.
Cassandre essaya de voir dans ses yeux s'il était sincère, mais elle n'y vit qu'une franche détermination, mêlée de frustration.
- C'est à prendre ou à laisser, précisa-t-il fermement, parce que je ne te laisserai pas repartir je-ne-sais-où, pour le moment.
- Merci, dit-elle avec un pincement au coeur. S'il te plaît, dis lui que je suis rentrée chez moi...
Lukas lui lança un regard dur.
- D'abord, tu me demandes de te fournir ce certificat de non-aptitude au travail, puis tu t'enfermes chez toi pendant des mois, et maintenant, je dois aussi mentir à Alexander?
- Tu le feras, ou non?
- Je tiens toujours mes promesses.
Elle le savait mieux que personne.
Ils marchèrent quelques minutes en silence, puis le jeune homme reprit la parole.
- Tu sais que ça va maintenant faire trois mois que nous ne sommes pas partis en mission ?
Cassandre soupira. Traduction: qu'est ce que tu attends pour revenir?
Elle était fatiguée de mentir. Elle répondit sèchement.
- Tu n'avais qu'à y aller avec Meredith. Elle vise bien.
- Et elle a meilleur caractère! (Lukas n'avait pu retenir cette pique). Mais ce n'est pas la question. Tu sais très bien à quel point faire équipe avec quelqu'un d'autre que son binôme est compliqué à négocier, et que les missions en solo sont interdites. Résultat, je me retrouve à trier des dossiers pendant que tu disparais.
- Houuuu, ironisa-t-elle, les archives n'ont qu'à bien se tenir.
Lukas lui lança un regard glacial. Cassandre serra les dents.
Ils tournèrent dans une ruelle moins fréquentée, où les gens cessèrent de les dévisager.
- À part ça, fit-il, à bout de patience, je pourrai avoir ce que tu fous de ton temps libre? À part attendre que tout le monde fasse ton boulot à ta place?
Cassandre le prit comme une gifle, mais ne laissa aucune émotion transparaître sur son visage. Elle ne répondit pas.
Lukas continua, profitant de l'occasion pour la cuisiner.
- C'est vrai que ça doit être pas mal, de rester à la maison, de recevoir sa bouffe deux fois par jour, de ne pas penser à ceux qui se battent, et peut-être meurent, au moment où tu fais une sieste sur le canapé.
Cassandre cherchait en elle toute la patience pour ne pas lui arracher la tête.
- Et puis, bon, fit-il pour finir, les Chasseurs, c'est vrai que ce qu'on dit sur eux est fondé, non? Il ne font rien, et sortent de temps en temps tuer des Passés pour se défouler...
C'est bon, pensa Cassandre, stop.
Sans autre forme d'avertissement, elle le poussa violemment contre le mur bordant leur trottoir.
Lukas s'y rattrapa instantanément, mais elle s'y attendait. C'est de son incompréhension qu'elle tira profit.
Sa voix, au lieu d'être bouillonnante de colère, sonna aussi froide que le blizzard. Chaque mot en était une rafale, qu'elle assénait lentement.
- Tu n'as aucune idée de ce qu'il se passe. Aucune. Et si tu le savais, tu prendrais mon conseil au sérieux: arrête de te mêler de mes affaires.
Puis elle ajouta, le regardant droit dans les yeux, s'appliquant à bien détacher chaque syllabe.
- Tu sembles l'oublier, mais je n'ai aucun compte à te rendre. Alors arrête d'essayer de trouver ce qui ne va pas chez moi.
Un long silence suivit ces mots.
Et pour la première fois depuis des mois, Cassandre se dit qu'elle avait peut-être été trop loin.
Tu devrais t'excuser, lui murmura sa conscience.
Mais ses lèvres restèrent closes.
Si tu veux le mettre en sécurité, tu ne vas de toute façon pas avoir d'autres choix que de le blesser.
Face à elle, Lukas la dévisageait, ne cherchant même plus à cacher ce qui lui passait par la tête.
On aurait dit qu'il contemplait une parfaite inconnue, qui lui rappellerait vaguement quelqu'un, et chez qui il essaierait de retrouver des similitudes avec celle qu'il connaissait.
Et à cet instant, il n'en trouvait aucune.
La personne qu'il avait en face de lui était tout, sauf sa Cassandre. Ce constat lui serra la gorge.
Sa voix fut la plus sèche possible.
- Tu ferais mieux d'y aller seule.
Cassandre sentit comme un noeud se former dans sa poitrine. Elle se battit contre cette sensation.
C'est mieux comme ça, se disait-elle. Plus il s'éloignera, plus il sera en sécurité.
Lukas ne croisa pas son regard.
Il lui tourna le dos, et disparut au coin d'une rue adjacente sans que Cassandre n'ai bougé de là où elle était.
Une partie d'elle voulut le rattraper, lui expliquer le chaos qu'était devenu sa vie depuis l'accident.
Elle la fit taire.
Et avant de se laisser le temps d'hésiter, elle partit vivement.
Alors c'est comme ça que tu comptes les sauver? En ne leur disant rien, en te supprimant de leurs vies en attendant qu'on te retire la tienne?
- Ta gueule, murmura-t-elle pour elle même.
Personne ne la regarda de travers en la voyant parler seule. Parce qu'il n'y avait personne.
Les rues devant elle étaient désertes, comme la plupart des rues près de l'Opéra. Les civils n'étaient pas fous, ils savaient quels endroits éviter.
Cassandre sentit le vent frais du début de matinée s'engouffrer dans les pans de son manteau. La chaleur du mois de juillet tardait à s'affirmer, et les énormes serres des Tuileries ne manqueraient pas d'annoncer des retards sur la production estivale.
Il se passerait encore quelques semaines avant qu'elle ne puisse toucher à de vrais fruits. D'ici là, elle devrait se contenter de barres de vitamines au goût chimique, ou de fibres de synthèse.
Rien que l'idée la fit grimacer. Elle essaierait de récupérer une conserve de pêche au sirop en plus de sa commande, tout à l'heure.
Ses pas la menèrent enfin à quitter les rues pour une place, où des bourrasques de vent s'appliquèrent à la décoiffer.
Cassandre chassa les mèches de ses yeux, et leva le regard.
La dominant de toute son architecture, l'Opéra Garnier lui faisait à présent face.

L'Enclave [Wattys 2019]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant