Chapitre I

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Je suis devenue muette un trois avril. «  Choc émotionnel » ont déclarés les pompiers. La faute revenait à un incendie. Un peu parce que j’y ai assisté et que l’on peut classer cela dans les scènes traumatisantes à en perdre la voix, forcément, mais surtout parce que j’en étais présumée coupable. A deux jours près, cela aurait fait un sacré poisson d’avril.

La vérité, dans son exactitude, est assez drôle aussi. Mon mutisme, je l’ai décidé. J’étais dans l’objectif de laisser parler mon avocat et d’utiliser mon droit de garder le silence, comme on le fait dans les thrillers américains. Simplement, j’imagine que j’ai pris mon rôle un peu trop à cœur.

Depuis, une multitude de rencontre avec des gens en uniforme se sont enchaînés. Certains tentaient d'adoucir ma vie et ses aspects pour que je retrouve ma voix. D'autres me mettaient la pression pour que je craque et que je donne des réponses. C'était à celui qui obtiendrait un aveu en premier. Aucuns ne réussirent.

1/20 pour la participation.

Cependant, MIRACLE, les médecins m'ont convaincus d'écrire pour remplacer ma voix. Raconter mes journées. Mes souvenirs. Tout ce que je ne peux plus dire. Il y a des choses qu'on n'avoue pas, sauf sur du papier que l'on peut jeter, que personne ne lira.

Des choses, j'aimerais bien en dire à ma mère. M'excuser. Me faire pardonner. Lui expliquer mes non-dits, ceux qui, d’ailleurs, risquent de le rester. Mais ma mère n’a plus communiqué plus avec moi depuis l’incident, réaction de gêne, de honte ou de déception. Ou d'un mélange des trois. Son regard brillant qui fuit le mien implorant est le plus dur à vivre. J’ai essayé de la comprendre et je l’ai compris. Par contre, de là à ce que mon grand frère Mario réagisse pareil, sa logique m'échappait. J'attendais une leçon de morale de sa part, voire une gifle, un coup dur et sec comme celui qu’il m’avait donné la première fois que j’avais séchée les cours, mais rien ne vint. Le silence résume tout parfois. Je suis bien placée pour le savoir.

Quand on n’a plus la possibilité de se présenter soi-même, des papiers dits « officiels » et autres cartes identitaires le font à notre place. Il est drôle de se dire que ma vie est maintenue à trois ou quatre informations donnés par des écrits. Santana O’connell. Née le 11 juin 1985. Nationalité américaine. Domiciliée au bâtiment C, bloc 4, d’un quartier nord d’une grande ville. Le tout est placée, vous l’aurez devinez, aux Etats Unis, ces terres de mélanges et de mixités. J’imagine que je dois être un exemple de ce cliché. J’ai le prénom qui rappelle mes origines mexicaines maternelles et le nom de famille adapté à la bourgeoisie irlandaise dont provient mon père.

Et alors, je me suis posée la question de savoir ce que les gens qui me rencontraient ou ceux qui me connaissaient, disaient pour me décrire à un autre pour qui j’étais totalement inconnue.  Sans doute qu’ils ne citeraient que très peu des détails cités plus haut. Ces informations si précises et à la fois si vagues en cachaient d’autres…

Il y a quelques mois, avant d’être concernée par le problème, je suis tombée sur cette émission qui prônait l’idée que perdre un sens amplifiait les autres. A force de rester chez moi dans le but d’éviter les questions auxquelles je ne pourrai pas répondre, je m’ennuyais énormément. Assez pour dresser une liste d’expériences à réaliser qui démontrerait l’idée reçue. J’ai passé une journée entière à cette activité. J’allais enfin mettre à profit mes recherches quand je suis tombée sur une information, une de trop. Elle disait qu’être muet suite à choc pouvait être irrévocable. Sans solution. Et des larmes m’ont échappés. Tout s’est brouillés et j’ai pensé à ma situation et aux faites que j’allais peut-être jamais en sortir et je me suis promis de ne plus jamais faire de recherche sur ce qui m’arrivait. Il valait mieux être ignorant quand il s’agissait de soi. En apprendre trop sur sa personne attirait la paranoïa, l’égocentrisme, le désespoir. Ces affirmations provenaient de moi et de mon esprit déjà contaminée… mais j’imagine sans mal que Freud a dû évoquer le sujet dans l’un de ces bouquins ? Je ne le sais pas et je n’ai pas envie de le savoir. J’aurai néanmoins adoré pousser un de mes fameux cris de rage. Il était là, retenu, bloqué au fin fond d’une gorge que le monde étranglait. De nature nerveuse, mes hurlements assez habituels m’avaient valu le surnom de « San Rageuse » par mes amis. Désormais, j’étais « San Muette », l’incomplète, dotée d’aucuns dons ou davantage sur les autres sens.

Orange is the new black. (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant