Chapitre V

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Ma nuit a été courte, ce qui n’était pas une très bonne chose en vue du rendez-vous chez le médecin que j’avais à huit heures. Mon grand-père m’a accompagné, parce qu’après trente ans d’amour, il gardait envers sa femme quelques bonnes intentions. Lui laisser faire la grasse matinée à sa place en était une.

Il soufflait dans sa barbe inexistante à la salle d’attente. Il a eu la même réaction quand le docteur m’a annoncé que je devais continuer d’écrire, que c’était le seul moyen, qu’une fête foraine me rendrait pas ma voix (mon grand-père lui avait fait part en rigolant de mes projets du week-end).

L’idée était que mon cerveau regorgeait de pensées. Elles étaient si nombreuses et si embrouillés les unes dans les autres que je n’avais pas le moyen d’en sortir une correctement de vive voix. Cet homme se trompait royalement : c’était le contexte qui ne me donnait pas envie de reparler. Qui veut s’exprimer dans un monde corrompu et où tous les destins sont déjà tracés ? Quelles paroles peuvent changer notre avenir ? Quels mots feront d’un gars de Là-Haut autres choses qu’une cible d’entrainement pour les gangs ?

Alors, aller à la fête foraine, devoir parler en derniers recours, restait toujours ma solution préféré une fois la séance terminé. Aussi, je n’ai donc pas communiqué à Kelsey ce rendez-vous quand je l’ai rejoint quelques heures plus tard pour nos heures de travaux. Il fallait dire que sa proposition revenait de réelles bonnes intentions. Ce n’était pas le cas des insultes des frères Boris, de Stan et de Faust.

Le maigrichon a pouffé en me demandant si je tenterai de crier pour lui aussi au lieu d’accepter ses avances. La réponse était bien sûr, d’horreur...

Ainsi, Faust leur avait raconté notre altercation de la veille. C'était un vantard en plus d'être un connard de pervers ignorant. À quand les qualités ?

Ce dernier a murmuré une information apparemment choquante et amusante à l'oreille de ses confrères -- des " NAN ", " c'est dingue ", " impossible " s'échappait de leurs bouches rieuses. Ils se sont levés de leurs sièges en se découvrant du haut de leurs combinaisons. Le tout dans une synchronisation parfaite qui rendait l'acte plus dérangeante qu'il ne l'était déjà. Les quatre ont ensuite relevé leurs t-shirts pour dévoiler un tatouage. Sur chaque branche de leurs V, poilus ou non, avec de la peau sur les os ou non, musclés ou non, se trouvait l'inscription CREW 14. Et en fond sonore, j’avais le droit à : « Maintenant que tu as retrouvé ta langue, utilise là pour des bonnes choses : viens nous lécher notre effrayant tatouage ! »

Crew 14... J'ai tressailli en scrutant le nom de mon gang ennemi. Une incompréhension folle m'empêchait de réaliser que je côtoyais mes adversaires allemands directs depuis deux semaines déjà.

- Est-ce que tu comprends ce que tout cela signifie ? m'a dit Faust ce qui a permis de me débloquer. 

J'ai cligné des yeux. Son index faisait des tours sur son nombril alors que celui-ci n'avait pas intérêt. Il continuait pourtant en me narguant d'une manière bien plus subtile que ses amis. Il jubilait, comme hier soir. Et puis, d'un coup, en analysant le tracé exact de son doigt sur sa peau, j'ai compris ce que Faust savait sur moi. Son index s'est levée pour me désigner. Il me pointait férocement, au niveau du ventre. Là où il y avait mon nombril. Rectification : là où il y avait mon tatouage qui me liait à la Mexicain House.

J’ai relevé l’information en roulant faussement des yeux.

Voilà ce qu'il l'avait énervé lors de sa tentative de viol, ce qu'il avait découvert en voulant m'embrasser le ventre. Il pensait baiser son cobaye mais il s'était retrouvé à toucher avec envie son ennemie. Moi. Sa fierté -- et son boss surtout, j'imagine -- ne pouvait pas le lui permettre.

Orange is the new black. (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant