Chapitre II

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Voilà quatre jours que je suis installé. Quatre jours que je m'attends à ce que Mario revienne me chercher en beuglant " WESH PEQUEÑA ON RIGOLAIT, L'HUMOUR CE N'EST PAS HÉRÉDITAIRE APPAREMMENT... ". Quatre jours que je refuse de sortir pour échapper à l'odeur de pelouse tondue, aux livreurs de journaux, aux BMW, Mercedes ou Audi sans tuning. Quatre jours que je fuis mon reflet. Or, ce quatrième jour est aussi celui du commencement de ma peine. Je vais devoir me toiletter devant un miroir et faire face à mon image. Ou plutôt, à son image. Je suis le portrait craché de ma mère.

On possédait les même traits dures du visage, creusés par les épreuves de la vie en cité. Notre regard noir renforçait cette facette coriace. Un teint mat se chargeait de rappeler nos origines mexicaines. Des cheveux bruns, méchés caramel, se rebellaient semblablement jusqu'à notre mi-dos. Nous étions toutes les deux des femmes pulpeuses : épaules un peu trop larges, lèvres pleines, poitrines et fesses généreuses. Ma passion pour la course à pied et le krav-maga me rendait beaucoup plus fine qu'elle ne l'était. Bien que mon visage soit assez américanisé par mon père, tout le reste provenait d'elle. Ah, Madre, même loin de moi je te vois.

Notre seule vraie différence était ce tatouage au-dessus de mon nombril : MH. Soit les initiales de Mexicain House. La preuve que j'appartenais à ce gang même à des kilomètres d'eux.

J'ai entendu ma grand-mère me demandait de descendre tout en me surnommant Lolita.

Je me suis demandée si m'appeler Lolita aidait ma grand-mère à oublier d'où je venais. Santana, cela sonne trop Là-Haut. C'est trop commun à ces filles prédestinées à la prostitution ou à la caisse.

Il y avait une Maria dans mon entourage, un bâtiment plus loin que le mien. Des rumeurs cruelles courraient sur son compte. On l'associait aux caves et à d'autres activités aussi salaces. Personne n’a jamais eu de confirmations ou de témoignages qui justifiaient ces informations. Simplement, elle avait le malheur de vouloir s’habiller comme une femme affirmée, de montrer un bout de jambe ou la totalité de ses bras (jamais les deux en même temps, diosmerci). Elle possédait un sens de la mode qui l’aurait rendu populaire dans un lycée du même genre…

Cette fille, elle connaissait le même coin secret que moi. A cause d’un manque d’investigation de l’Etat, le bloc 8 avait été abandonné en pleine construction. Il restait à ce tas de ferraille un seul et unique escalier. Il menait à une cheminée sur lequel on pouvait s’assoir et qui donnait sur toute la ville. J’y allais de temps en temps, pour regarder les étoiles ou l’instant d’avant, celui du soleil qui se couche parmi les bâtisses. Et lors de ces moments de contemplations, il m’arrivait de croiser Maria.

Je n’ai jamais su ce qu’elle venait y faire, mais une certaine complicité distante s’était installé entre nous. On se tenait à côté l’un de l’autre sans se déranger. Je pense que fixer un paysage si vaste lui permettait d’être concentré sur autre chose que sur ce qu’on racontait sur elle. Elle devait rêver d’ailleurs, de boutiques dont elle serait la boss, de feuille blanche où elle pourrait mettre en trait ses plus folles créations. Elle adorait dessiner et le faisait devant moi comme elle aurait vendu de la drogue : de manière secrète et méfiante, en me demandant de rien répter à personne.

Un jour, je lui ai demandé si elle voulait bien faire mon portrait. Elle a semblé touchée et elle s’est exécutée pendant une semaine. Il ne lui restait plus que mes cheveux et sa signature à finir quand elle est morte.

Tabassé à mort par un gang adverse : le Crew 14. Leur raison ? « On vous enlève juste une de vos putes ». C’est un système de terreur. Tout le monde se tient à carreau après pour ne pas être la prochaine. Ça empêche, par la même occasion, aux filles de se lier à la Mexican House, afin de ne pas grossir le clan. Leur technique n’a pas fonctionné sur moi.

Orange is the new black. (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant