Pour une cafetière

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Le bruit de la cafetière était insupportable pour lui, c'était un bruit répétitif et beaucoup trop fort pour ses dures matinées. C'est pourquoi il avait investi dans une cafetière automatique et silencieuse, qu'il avait placée sur son bureau dans l'open-space dans lequel il travaillait. Il l'avait programmée pour qu'elle lui prépare un café à son arrivée, à six heures trente du matin, durant la pause de neuf heures, après la pause du midi, et durant la pause de l'après-midi à quinze heures, enfin, sa machine lui préparait un dernier café au moment de son départ du bureau, à dix-huit heures. Mais ce matin, il était de mauvaise humeur, en plus de ses tracas quotidiens, ce matin, il était tombé en rade de dosette à café, pas de café silencieux pour lui donc. C'est donc bougon qu'il s'était dirigé vers la salle de repos de son bureau, armé de quelques piècettes, il était bien décidé à l'avoir, son café. Il inséra le compte d'argent et quand la machine lui demanda de sélectionner le café qu'il souhaitait, il le choisit extra fort. Alors qu'il portait son gobelet en plastique à ses lèvres, les brides d'une conversation entre deux de ses collègues lui parvinrent aux oreilles.
- T'es au courant ? Il paraît que Onishi a enfin trouvé un nouvel inspecteur pour remplacer Nobushi.
Intrigué, il reposa son gobelet sur le buffet et pivota vers les deux opportun de la salle de repos, les observant de son regard perçant.
- Tu déconnes ? s'écria le second.
- Si si je t'assure ! D'après les « on dit », la recrue viendrait tout juste de réussir son concours, et aurait été engagée sous dérogation ! dit l'autre avec des yeux ronds.
- Mais non ! Et dire qu'elle va se retrouver avec Hayashi... le jeune soupira en secouant la tête d'un air désolé.
Notre homme au regard perçant tiqua a l'annonce de son nom, puis laissa cependant un petit rire moqueur fuser dans sa gorge. Il s'empara de son gobelet et se dirigea vers la sortie, en chemin il s'arrêta pour jeter un œil à sa montre, elle annonçait dix-sept heures moins quart.
- Hé, ce serait pas Hayashi justement là-bas ? chuchota l'un des deux autres de tout à l'heure.
Celui-ci laissa ses yeux glisser de sa montre aux deux hommes au fond de la salle, il leurs adressa le sourire le plus acerbe dont il était capable.
- Mince alors ça veut dire qu'il a entendu tout ce qu'on vient de dire ?! cria l'autre tandis que Hayashi s'éloignait, son café en main.
En chemin il repassa dans son open-space pour récupérer sa veste en jean fourrée. Il faisait froid en ce moment à Tokyo, la fourrure a l'intérieur de sa veste lui prodiguait assez de chaleur pour le maintenir au chaud le temps de faire le chemin de son appartement à son bureau. Il reposa son café sur son bureau et enfila à la hâte sa veste.
- Tu pars, Komaru ? demanda son collègue assis au bureau d'en face.
Hayashi leva les yeux pour l'apercevoir, son collègue s'était dressé de tout son long sur sa chaise pour espérer l'apercevoir par dessus son écran d'ordinateur. Hayashi avala une gorgée de son café.
- Je t'ai déjà dit de m'appeler par mon nom de famille, idiot.
Son camarade ria de bon cœur et fit pivoter sur elle-même sa chaise de bureau.
- Je sors plus tôt ce soir, annonça-t-il en buvant une nouvelle gorgée de café, je te fais confiance pour le reste ? demanda-t-il en prenant le chemin de la sortie.
L'autre leva son pouce en guise d'approbation.
- Yes Sir ! Kuyama sera là pour m'aider, et le chef Onishi reste tard ce soir, c'est ok, tu peux y aller.
Sans rien ajouter, Komaru s'éclipsa. En chemin vers l'ascenseur, il finit son café et jeta le gobelet dans une poubelle. Quand il passa les deux portes vitrées de la tour dans laquelle se trouvait ses bureaux, il jeta un regard à la dérobée vers le ciel, celui-ci était gris de mauvais temps, mais aussi de pollution. Il remonta le col de sa chemise et referma la fermeture éclair de sa veste puis se dirigea d'un pas nonchalant dans une petite rue adjacente.

Il passa les portes du Whiskey & Wine bar à dix-sept heures dix.  Il s'installa prestement à un tabouret près du bar et poussa un long soupir. Un scotch alla brusquement s'abattre sur le comptoir juste sous ses yeux. Il leva le regard, un homme large d'épaule lui souriait, faisant plisser la balafre qui lui barrait la lèvre inférieure, ses cheveux était retenu dans un bandana coloré qui lui donnait un air avenant.
- Salut, Ko', dure journée ? lança-t-il en croisant ses bras sur son torse. Komaru Hayashi attrapa le verre d'un geste paresseux et fit teinter les glaçons d'un mouvement rapide du poignet.
- Un peu ouais, que de la paperasse, marmonna le brun d'un air ennuyé.
- C'est ça une dure journée pour toi ? Dans quel monde tu vis ?! s'écria le barman en préparant une boisson élaborée comportant diverses alcools. Komaru avala d'une traite son verre et le fit glisser jusqu'au jeune homme derrière le comptoir, qui l'attrapa de justesse avant que celui-ci n'aille s'écrasé au sol, le barman lui jeta un regard noir.
- La prochaine fois, je te le fais payer, bougonna l'homme au bandana en lui resservant un verre.
- Rick, je me suis pas engagé dans la criminelle pour faire de la paperasse, soupira l'inspecteur en attrapant son verre à nouveau plein.
- C'était à prévoir guignol ! Tu pensais réellement passer ta vie à courir après les méchants dans ce métier ? répondit-il d'un air exaspéré en secouant la tête. A ces mots il versa son cocktail dans un verre, contourna le comptoir pour venir prendre place aux côtés de Komaru. Il prit une gorgée de sa boisson et sourire satisfait étira ses lèvres.
- Goûte moi ça, ma nouvelle composition tu m'en diras des nouvelles, dit-il avec une pointe de vantardise dans la voix.
Komaru s'empara du verre à cocktail avec un regard septique, il hésita un instant, contemplant le sourire radieux de son ami, avant de se lancer et tremper à la hâte ses lèvres dans le mélange d'arômes et d'alcools. Aussitôt, ses yeux se plissèrent et ses sourcils se froncèrent immédiatement.
- Que c'est sucré ! s'écria-t-il en reposant brusquement le verre pour prendre son scotch et avaler le contenu d'une traite.
Rick pinça les lèvres comme un enfant vexé et avala le reste du cocktail en bougonnant. Komura se leva après quelques verres, un peu trop même. Rick eu le réflexe de lui proposer de le ramener en toute sécurité, mais Komura l'interrompit immédiatement: il rentrait à pied. Sur ce Komaru s'éclipsa sans un mot, laissant Rick seul à son comptoir. Sur les trottoirs de Tokyo, Komaru apparaissait comme un homme seul. Fort heureusement, il tenait bien l'alcool, assez en tout cas pour lui permettre de marcher droit alors même qu'il était complètement saoul. Il grimpa difficilement les marche de son vieil immeuble, il lui arriva quelques fois de rater une marche, il faut dire qu'il n'y voyait pas clair. Son ascension périlleuse terminée, il batailla une bonne dizaine de minutes avec la serrure de son appartement, son état d'ébriété y étant là aussi pour beaucoup. Cette épreuve passée il entra en claquant la porte derrière lui, se débarrassa de ses chaussures à la hâte et se dirigeait vers la minuscule salle de bain. Là il s'y déshabilla, sans oublier de balancer sa veste sur le canapé et se glissa sous l'eau chaude, il y resta un long moment. Son appartement était petit mais ça lui suffisait, une petite chambre à peine meublée, un simple lit deux places au centre, un salon tout aussi petit avec pour seuls meubles un canapé et une vieille télé, et pour seule déco des photos toutes plus morbides les unes que les autres, des anciennes affaires qu'il n'avait jamais résolues et qui le hantait encore par moment. « Un appartement simple, une décoration simple pour un homme simple. » disait-il. Mais c'était faux, à côté de la porte de sa chambre il tenait verrouillée une deuxième porte, la plus grande pièce de l'appartement, quand il ne bossait pas, c'était dans cette pièce qu'il passait le plus clair de son temps. La porte de la salle de bain s'ouvrît violemment laissant sortir un Komaru à moitié nu et plus saoul que jamais. Malgré son état il se dirigea comme un automate dans la cuisine, il attrapa une bouteille d'eau-de-vie qu'il sortit d'un placard, et alla se laisser tomber sur le canapé. Il alluma la vielle télé, déboucha la bouteille et avala deux ou trois gorgées à même le goulot. Telle fut la nuit de Komaru Hayashi.

Les deux Dragons [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant