Jaune, rouge et bleu

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La sonnerie stridente du téléphone la tira brusquement de son lit, en premier lieu elle entreprit de se recoucher, ramenant sa grosse couverture jusqu'en dessous de son menton en grognant. Puis, quand elle entendît à nouveau la musique insupportable du combiné, elle se décida à décrocher, sans pour autant se défaire de sa couette.
- A-allo ? bégaya-t-elle d'une voix pâteuse, en reposant sa tête dans l'oreiller.
- Avery ? C'est Isumi, on petit-déjeune ensemble ? demanda une voix claire et enjouée dans l'appareil. Un grognement rauque se manifesta dans la gorge d'Avery.
- Mais quelle heure il est ? demanda-t-elle dans un soupir. Elle se redressa difficilement dans dans son lit, entouré de sa couverture sans même écouter la réponse. Elle jeta un œil au réveil digital et se leva, son épaisse couverture sur ses épaules la protégeant du froid.
- Je bosse pas aujourd'hui... j'arrive, dit-elle dans un bâillement.

Avery arriva en courant à la petite terrasse d'un café, vêtue d'un simple gris manteau, un pull blanc, et d'un jean, son petit sac bleu à pois blanc rappelant l'uniformité de sa tenue. Isumi failli s'étouffer avec son thé en la voyant courir dans sa direction, main levée, lui faisant de grand signes. Avery se laissa tomber lourdement sur la chaise en face de son amie, et souffla bruyamment, laissant s'échapper un petit nuage de buée d'entre ses lèvres.
- Je m'attendais plus à te voir déambuler comme un zombie après notre échange de ce matin, lui lança-t-elle en trempant son croissant dans son bol. Avery lui lança un regard éreinté en remettant en place ses cheveux. Un serveur fit irruption, elle demanda un grand bol de cacao et trois pains au chocolat, pour la deuxième fois de la matinée, Isumi s'étouffa avec son thé.
- Tu vas finir diabétique si tu continues à ingurgiter autant de sucre, dit-elle en lui lançant un regard désapprobateur, peu importe ! Parle moi de ton boulot, dit-elle en reposant son croissant sur la table, un regard sincèrement intéressé. L'inspectrice prit le temps de touiller son cacao, peut-être pour chercher ses mots.
- Eh bien... j'ai passé deux jours extrêmement... inhabituel, dit-elle, peu-sûre du mot employée. Son amie reprit son croissant et le scinda en deux pour en mettre la moitié dans sa bouche.
- Chertes, mais plus prechisément ? s'enquit-elle la bouche pleine. Avery tritura son pain au chocolat, pensive.
- Mon coéquipier... est un homme... comment dire... difficile à cerner, marmonna-t-elle, je me sens bien dans mon travail, rectifia-t-elle, mais, c'est comme si je me transformais en godiche quand je travaille avec ce collègue, dit-elle en finissant son premier croissant. Isumi poussa un long « huuuum » en la pointant du doigt, comme si elle venait de comprendre.
- C'est parce qu'il est plus vieux ! Il te considère comme une enfant, affirme toi! s'écria-t-elle, attirant quelques regard mauvais sur elles. Avery s'étouffa à son tour, avec une miette de pain au chocolat.
- Nous avons seulement trois ans d'écart, bredouilla-t-elle d'un air renfrogné. Un petit rire fusa dans la gorge de son amie, et la pointa du doigt, ou plutôt de la cuillère.
- Parfois un an suffit tu sais... fit-elle en haussant les sourcils de manière suggestive. L'inspectrice pouffa, au risque de recracher du cacao. Isumi avala d'une traite son thé et se releva, en passant son sac sur son épaule, elle jeta un œil à sa montre.
- Il faut que je file ma jolie, dit-elle en feignant d'être pressée, elle se pencha sur son amie et embrassa sa joue, il cache quelque chose c'est sûr ! Prend les choses en main !
Et elle s'éloigna, laissant Avery seule face à ses deux derniers croissants.

Un mouvement imperceptible de sa main durant son sommeil fit rouler la bouteille d'eau-de-vie vide, qui alla s'écraser sur le sol, la brisant en plusieurs morceaux de tailles différentes. Le bruit le tira de son sommeil dans un sursaut, il se redressa, en sueur, clignant des paupières plusieurs fois, parcourant les alentours des yeux pour se situer. Quand il reconnut son salon, il se laissa aller contre l'accoudoir du canapé dans un souffle,soulagé de ne pas être à nouveau dans la salle de pause de son bureau. Il jeta un œil sur le tapis, des dizaines de petits morceaux de verre jonchaient le sol. Il se frotta vigoureusement le visage, nul doute que la nuit dernière fût semblable à toutes les autres, il avait finit la nuit en compagnie de sa femme préférée, la liqueur. Il posa pied à terre, quand il se leva, une vive douleur se manifesta, intrusive, et vicieuse, un bout de verre venait de s'introduire dans la plante de son pied. Il retenu une injure, serrant les poings, mordant sa lèvre inférieure si fort qu'il eut l'impression qu'elle allait éclater sous la pression. Il prit trois longues inspirations, calma son cœur qui avait réagit au quart de tour à la douleur, et entreprit d'avancer jusqu'à la salle de bain. Il claudiqua, laissant plusieurs taches d'un liquide carmin et poisseux sur le tapis et le parquet. Il s'appuya sur le lavabo, soufflant bruyamment pour éviter de lâcher une flopée d'injure à l'égard de la génitrice d'on-ne-sait-qui. D'une main tremblante, il alla fouiner dans l'armoire à pharmacie de la salle de bain, s'empara d'une bande, une pince à épiler et des compresses. Il se laissa en suite tomber dans la baignoire, réveillant la douleur lancinante du bout de verre dans sa peau. Il poussa quelques grognements en repliant sa jambes vers lui. Après quelques minutes à batailler, il réussit enfin à extraire le corps étranger de son pied, une vague de soulagement et de douleur aiguë l'envahit immédiatement. Il s'appliqua à apposer une compresse et à bander son pied blessé. Quand enfin ce fût fait, il laissa s'échapper un long soupir, en posant sa jambe contre le rebord de la baignoire. Il resta ainsi, tête renversée vers l'arrière, yeux scrutant le vide en méditant sur sa nuit. Sa respiration se calma doucement, et il sembla s'assoupir un instant. Du moins jusqu'à ce que le téléphone fixe ne le sorte de son engourdissement. Il grommela, hésita quelques instants sur la marche à suivre, et finit par s'extirper difficilement de la baignoire. Il claudiqua en direction de la petite table à côté du canapé, à chaque fois qu'il posait son pied blessé au sol, une vive douleur insupportable le rappelait immédiatement à l'ordre. Quand il arriva, la sonnerie cessa. Il gronda contre « cette foutu bouteille » et s'activa à ramasser à la main chaque petit bout de verre quand la sonnerie retentit à nouveau, le surprenant, un débris lui entailla superficiellement le bout du doigt, il jura, et laissa retomber les bouts de verre au sol pour décrocher, plus qu'agacé.
- Hayashi, j'écoute, cracha-t-il sèchement dans le combiné. Une petite voix timide s'excusa deux fois de suite, son agacement s'estompa quelque peu.
- Monsieur Hayashi ? Kasawa à l'appareil, je suis désolée, j'appelle... pour euh... peut-être pourrions-nous discuter de notre affaire autour d'un déjeuner ? sa petit voix s'éteignit à la fin de sa phrase, sans doute était-elle sur le point de s'étrangler. Il pouffa, et elle perçut de la moquerie, presque du sarcasme dans son rire. 
- C'est notre jour de congé et vous voulez qu'on bosse ? Vous n'avez aucune logique bon sang, railla-t-il. La température du corps d'Avery monta en flèche, ses joues devinrent écarlates et la honte lui serra les entrailles et lui dessécha la gorge. Un long silence passa dans le combiné, seuls quelques crépitements de la ligne téléphonique entretenaient la conversation, Komaru ne savait pas ce qui le retenait de raccrocher, peut-être le son de la respiration de son interlocutrice au bout du fil. Il sursauta presque quand elle se décida à reprendre la parole.
- Oui ou non ? Je peux travailler seule si je vous dérange tant que ça, insista-t-elle d'une voix ferme mais qui trahissait encore son malaise. Il fut quelque peu décontenancé par ce soudain accès de fermeté, peut-être avait-elle un caractère plus prononcé finalement ? Un petit rictus moqueur étira la commissure droite de ses lèvres et il en vint même à regretter qu'elle ne soit pas là pour le voir se moquer ouvertement d'elle. Après un moment, il finit par accepter, sans le moindre signe d'enthousiasme, elle fixa un endroit et une heure, d'un air déterminé. En reposant le téléphone sur son socle il se surpris à afficher un air rieur. «Elle est plus intéressante que prévu. » se dit-il en retournant s'affairer à ses bouts de verre. Après une bonne douche et une inspection de son pied blessé, il s'empara de sa veste fourrée, et se mit en route en claquant la porte derrière lui. Ce ne fut qu'à ce moment là qu'il remarqua une sorte de gêne pesant sur son abdomen, comme un poids omniprésent, peu douloureux mais quelque peu gênant, il décida de ne pas y prêter attention et s'élança dans les escaliers à toute allure.

Les deux Dragons [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant