— ... et pour cette raison, nous exigeons un service civique obligatoire des nobles un jour par semaine dans les usines du pays, afin de les reconnecter aux réalités de la vie de la majorité des Français, en compensation des privilèges que la naissance leur a accordés aléatoirement.
Louis soupire intérieurement. Voilà une heure qu'il est coincé en réunion avec les représentants de la Ligue des travailleurs, une organisation que les rois qui l'ont précédé voyaient d'un très mauvais œil et ont songé régulièrement à interdire.
Mais à qui, moi, je viens d'accorder une avancée historique en leur permettant de me rencontrer...
C'est la conséquence de la ligne de conduite qu'il a choisie de tenir pour tenter d'apaiser les troubles dans le pays : renvoyer au peuple une image d'ouverture, celle d'un monarque capable d'écouter toutes les revendications, plus que jamais pertinent pour tenir son rôle de guide de la nation face aux défis induits par la modernisation de la société. Cela passe par des actions symboliques de ce type, en attendant que des mesures plus concrètes soient mises en œuvre.
Contrairement à ce que la majorité semble croire au vu des messages postés sur Réseau Royal, les lois ne se changent pas en un claquement de doigts. Elles doivent être mûrement réfléchies, chacune de leurs implications doit être soigneusement pesée : c'est un processus qui peut prendre plusieurs mois.
Face aux discours des cinq hommes et femmes installés autour de lui, il se dit cependant que cette vision des choses va avoir du mal à s'imposer dans la population.
La plupart des transformations qu'ils réclament sont irréalistes. Ils voient chaque problème par le prisme des seules classes ouvrières, et ne veulent pas se rendre compte que les situations sont plus complexes que ce qu'ils décrivent.
La femme qui était en train de parler se tait et fixe Louis, attendant visiblement une réponse de sa part. Cela ne l'arrange pas : il aurait préféré qu'elle continue son discours et lui évite de réagir précisément à ses propositions.
Car que puis-je faire ? Je ne peux pas donner mon réel sentiment, à savoir que ses idées sont bien trop extrêmes, et je ne peux pas non plus mentir avec de fausses promesses, car j'en paierai forcément le prix au bout du compte.
Après quelques secondes employées à choisir précautionneusement ses mots, il finit par déclarer :
— Les nobles remplissent un rôle important au sein de notre société : ils garantissent l'administration des territoires à un niveau local, une mission qui accapare une portion certaine de leur temps pour être menée à bien. Elle pâtirait de la mesure que vous proposez.
— Oh, allons donc ! s'exclame l'un des représentants. Combien d'aristocrates s'occupent réellement de leurs terres ? Ils délèguent quasiment tous cette tâche à des subalternes ! La majorité mène une existence parfaitement oisive, vous le savez bien !
L'homme assortit sa tirade d'un regard hargneux à ce qui l'entoure. Louis a pourtant veillé, avec ses ministres, à recevoir ces cinq invités dans l'un des salons les moins ostentatoires de Versailles : le salon des Jeux, une pièce plutôt intime donnant sur la cour royale. Mais ses boiseries blanches et ses dorures pourtant fines semblent suffire à provoquer l'irritation de ses interlocuteurs, lesquels, il faut en convenir, paraissent incongrus avec leurs chemises simples en lin et leurs pulls en grosse maille dans ce décor.
— Il n'y a qu'à ouvrir Réseau Royal pour s'en rendre compte, renchérit une femme en joignant le geste à la parole, dégainant son téléphone hors de sa poche. Nous sommes bien placés pour savoir à quoi ressemble leur vie, parce qu'elle nous est plaquée sous les yeux dès que nous nous connectons. Vos ancêtres pouvaient nous cacher la vérité, mais désormais, elle s'étale sous le regard de tous.
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Réseau Royal // Tome 2 : Révolution [Sous contrat d'édition]
General FictionVersailles, de nos jours. Le complot visant à renverser Louis XX a été déjoué de justesse. Mais pour le jeune roi, le soulagement est de courte durée. Dans les rues et sur Réseau Royal, le réseau social de la monarchie, la flamme de la révolution s'...