2.4 - Louis

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— Le dîner sera servi dans un quart d'heure dans le salon des Porcelaines.

— Très bien. Merci, Gauthier, vous pouvez disposer.

Le valet de Louis s'incline avant de quitter sa chambre, emportant le costume que le jeune roi a porté dans la journée pour le déposer au pressing du château.

Que je me présente au repas avec les habits dans lesquels les courtisans m'ont vu plus tôt constituerait une négligence qui les choquerait...

Louis n'a jamais compris leur fascination pour son jeu de fourchette. Les intrigues pour faire partie des quelques élus à être autorisés à assister à un repas simple comme celui-là font rage, quotidiennement. À leurs yeux, la moindre de ses activités est un événement...

Puisqu'il est prêt plus tôt que prévu – grâce à son rendez-vous avec les représentants de la corporation des enseignants qui s'est terminé en avance –, il prend la direction de l'antichambre qui sépare ses appartements de ceux de Catarina pour glaner quelques instants en privé avec elle. Il en a besoin : c'est encore une journée éprouvante qu'il a traversée, où il a dû faire bonne figure face à des interlocuteurs à l'attitude variant de la défiance à l'hostilité franche.

Je veux ses bras. Son amour. Ses lèvres, même si c'est juste le temps d'un baiser, pour oublier tout le reste.

Mais il n'a pas même le temps d'atteindre sa porte : son téléphone vibre contre sa cuisse. « Maman », lit-il sur l'écran une fois l'appareil extrait de sa poche.

Ce n'est pas la première fois que Georgia de Windsor essaie de l'appeler depuis l'émeute devant le château de Versailles. Mais jusque-là, ils se sont toujours ratés : il n'allait décrocher ni en pleine réunion du Conseil, ni pendant l'un des multiples rendez-vous qui occupent désormais son planning. Il ne peut donc laisser passer cette occasion.

— Bonjour, mère, la salue-t-il en prenant l'appel.

— Ah, Louis, je parviens enfin à te joindre ! Comment vas-tu ?

Le jeune homme entend aussitôt à la voix de Georgia qu'elle est inquiète.

Ce qui n'est pas étonnant : comme toutes les capitales d'Europe, Londres a les yeux braqués sur la France en ce moment, et ma mère doit être d'autant plus angoissée que c'est vers moi que sont dirigés les poings hargneux.

— Tu te doutes que j'ai connu des jours meilleurs.

— Oui, forcément. Tous ces gens qui s'époumonaient, tous ces cris réclamant la démocratie... Ils me font froid dans le dos. Tu tiens le coup ?

— Il le faut bien...

Louis préfère ne pas trop en dire, même si c'est à sa mère qu'il est en train de parler. Il a conscience que chacun de ses mots, Georgia est susceptible de les répéter à , le roi Henry XII d'Angleterre. Pour tous les sujets qui ont trait à la politique, il doit aborder cette discussion comme s'il s'agissait d'une rencontre diplomatique officielle.

— Mes ministres et moi prenons la situation avec tout le sérieux qu'elle mérite, affirme-t-il en s'efforçant d'afficher une façade d'assurance. Même si nous avons été pris au dépourvu par la trahison de Marc Sallemont, nul doute que nous parviendrons rapidement à apaiser les troubles.

— Je n'en reviens pas que vous n'ayez pas su détecter sa traîtrise bien plus tôt.

Aussitôt, Louis se crispe.

Nous y voilà... aux reproches.

— Plus facile à dire qu'à faire. Il cachait bien son jeu.

— Pourquoi a-t-il voulu te renverser ? Le sais-tu ? As-tu pu le lui demander ?

— Non, je n'ai pas encore eu l'occasion de lui parler.

Il le faudra, parce que moi aussi, je veux comprendre. Mais la priorité dans l'immédiat, c'est de combattre le chaos qu'il a déclenché. Et puis, je dois aussi admettre qu'une part de moi est terrifiée par ce que Marc pourrait me renvoyer en pleine face.

— Sûrement, il y a dû y avoir des signes ? insiste Georgia. Des indices qui auraient pu te mettre sur la voie ? Henry est très préoccupé de tout ce qui se passe en France. Nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que tu aurais pu faire plus pour éviter tout cela. Encore maintenant, nous te trouvons laxiste. Toutes ces personnes qui te critiquent ouvertement... Tu devrais ordonner leur arrestation, et mettre fin à cette mascarade. J'ai vu ces flammes que tes sujets ajoutent à leur nom sur Réseau Royal. Ordonne que le compte de ces dissidents soit désactivé sur-le-champ et pioches-en quelques-uns pour faire des exemples. Je te garantis que le calme reviendra très vite.

C'en est trop. Louis se sent déjà suffisamment coupable de tout ce qui arrive à la France ; et depuis plusieurs jours, il voit défiler devant lui des représentants de divers groupes d'opinion qui l'accusent plus ou moins explicitement de tous les maux du pays. Il est au bord de l'implosion nerveuse ; il n'a pas besoin qu'on l'enfonce davantage.

— Excuse-moi de vouloir écouter mon peuple plutôt que de le massacrer, maman, rétorque-t-il, acerbe. Pour ce qui est de Marc... c'est mon père qui l'a nommé au Conseil, ce me semble. À l'époque, tu étais reine de France. As-tu vu quoi que ce soit à ce moment-là ? As-tu agi ?

— François ne m'impliquait pas dans les affaires du gouvernement, tu le sais bien.

— Et à sa mort, la première chose que tu m'as demandée, c'est de repartir à Londres au plus vite. Tu n'as pas envisagé un seul instant de rester pour me soutenir, moi, ton fils unique, qui venait d'être propulsé sur un trône sans y être préparé. Alors je n'accepterai aucun reproche de ta part sur ce que j'ai fait ou non pour arrêter Marc Sallemont. Je suis peut-être le roi, mais je refuse d'être tenu comme unique responsable dès qu'un problème survient dans mon pays. Que chacun se regarde dans un miroir avant de me jeter la première pierre.

— Louis, calme-toi. Je voulais juste...

Le jeune roi n'entend pas la fin des justifications de sa mère, car il met brusquement fin à leur appel.

Si elle veut dresser la liste de mes erreurs passées, qu'elle le fasse seule. Moi, j'ai un avenir à sauver.

Réseau Royal // Tome 2 : Révolution [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant