13 octobre 1855
Louise se regarde dans le miroir et sourit. Elle se trouve jolie pour son premier bal. Sa camériste arrange une dernière fois ses cheveux et un pli de sa crinoline bleu pâle, puis se recule.
- Vous êtes ravissante, mademoiselle. Voulez-vous des bijoux ?
- Non, merci Camille, les fleurs suffisent.
Elle a orné sa chevelure de quelques fleurs, dénichées dans le parc le matin-même. Elles se feraient bientôt rares : l'automne s'installe, et l'hiver arrive. Camille se retire, et Louise se retrouve seule. Elle entend déjà un peu de musique qui monte du rez-de-chaussée. La comtesse a bien fait les choses : elle a invité tout le voisinage aux Aubépines pour un bal avec buffet. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait reçu personne, que pendant la semaine, le château était en effervescence. Cela avait distrait Louise.
"Si seulement Virginie me voyait ..." songe la jeune fille, "je ne lui ai pas encore écrit d'ailleurs. Je le ferai demain matin, sans faute."
Trouver un mari aurait été plus facile à Paris, où Louise a déjà des connaissances, comme les Vertfleur. Mais à Paris, il lui aurait fallu absolument respecter les six mois de deuil, et cela lui est impossible si elle veut trouver quelqu'un. En province, les usages sont plus souples, et les connaissances locales invitées par la comtesse étant au courant de la situation de la jeune fille, elles lui pardonneront certainement cet écart.
Louise s'avance vers sa coiffeuse, et prend un petit collier ras de cou noir. ce sera la seule touche de deuil qu'elle portera ce soir. En le mettant, elle repense à son père. Une tristesse l'envahit. Elle ouvre le tiroir d'une commode et prend un médaillon. Elle l'ouvre. A l'intérieur est conservé un portrait de son père. Elle le serre contre son cœur.
"Je t'aime, papa."
On toque. La comtesse entre.
- Louise, êtes-vous prête ... ?
Elle voit le visage triste et vient serrer la jeune fille dans ses bras.
- Allons, ma chérie, ne vous en faites pas. Je suis sûre qu'il est très content de vous du haut du ciel. Venez, descendons, vos amies vous réclament : Sophie, Marie, Charlotte, Eugénie, ... elles sont toutes au salon.
Louise se reprend, range le médaillon, affiche un sourire un peu forcé et sort de la chambre. Sur le palier elle entend mieux la musique et les notes lui mettent du baume au cœur. Mais avant de poser le pied sur la première marche, elle se tourne vers la comtesse.
- Il n'y a toujours pas de nouvelle de mon oncle et de ma tante ?
- Non, toujours rien, répond la comtesse le cœur serré.
Louise hoche la tête, reste pensive un instant, puis sourit et commence à descendre, presque joyeusement.
- Allons-y.
24 octobre 1855
Deux jeunes femmes se tiennent dans le salon d'un hôtel particulier, à Paris. Ce sont deux sœurs, aux cheveux roux et aux yeux bleus. Elles sont toutes les deux penchées sur une lettre, que la plus jeune lit à voix haute :
- "... il y avait des lumières partout chez les Tolbaire, et les salles me semblaient éblouissantes. La salle de bal particulièrement. Et la musique était merveilleuse. Il y avait beaucoup de monde, et j'ai rencontré plusieurs jeunes hommes charmants, que leurs sœurs m'ont présentés. Te souviens-tu de Charlotte ? ..."
Virginie vient de recevoir la lettre de Louise. Élisa, son aînée, l'écoute avec attention. Elles n'entendent pas la porte s'ouvrir, ni ne voient l'élégant jeune homme blond qui entre doucement.
- "... j'ai terminé par un quadrille. J'étais tellement fatiguée lorsque je suis rentrées aux Aubépines avec la comtesse que je me suis effondrée sur mon lit toute habillée. Il y aura encore un autre bal la semaine prochaine, mais chez Eugénie, cette fois. Je me sens coupable d'avoir envie d'y être déjà, alors que mon pauvre père n'est enterré que depuis un mois. Et mon oncle et ma tante ne donnent pas de nouvelles ... J'espère bien que tu m'en donneras, toi ! Je veux tout savoir ; Élisa est-elle vraiment fiancée ? ..."
- Eh bien, j'espère que vous répondrez par l'affirmative à cette dernière question, ma chère future belle-sœur !
- Sylvien !! S'exclament-elles en chœur, surprises.
Il sourit, contourne les fauteuils et s'assoit près d'Élisa dont il prend tendrement la main. Sylvien d'Ardoisan a rencontré Élisa de Vertfleur un an auparavant, lors d'un bal aux Tuileries. Les deux jeunes gens se sont rapidement plu et Sylvien s'est décidé à rendre visite à Mr. de Vertfleur à la fin de l'été, après un voyage à l'étranger. Il doit épouser Élisa à la fin du mois de janvier.
- Puis-je savoir qui vous écrit ?
- C'est, Louise, une amie, répond Virginie en repliant la lettre. Vous auriez pu la rencontrer, si vous étiez venu avec nous en province cet été ... Nous nous sommes rencontrées au couvent des oiseaux et sommes devenues inséparables.
- C'est le cas de le dire, renchérit Élisa sans quitter son fiancé du regard. Louise de Rosebrune a traversé une période difficile. Son père est décédé, il y a un mois ...
- ... et elle assiste déjà à des réceptions ? s'étonne Sylvien d'Ardoisan.
Virginie et Élisa échangent un regard triste.
- Oui ; elle nous explique cela. Son père lui lègue le domaine de Rosebrune à la condition qu'elle se marie avant le 8 mars. C'est une situation compliquée.
Le jeune homme reste silencieux un instant.
- C'est bien triste qu'elle n'ait pas pu faire son deuil, compatit-il.
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Amours & cupidités
Fiksi Sejarah1855. La France vit les belles heures du Second Empire. Loin des fastes de la fête impériale, Louise de Rosebrune vit un drame familial : son père vient de mourir. Or elle ne peut pas hériter du domaine où elle a passé son enfance et qu'elle chérit...