20/IAN

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Sarah ne me regarde pas. A vrai dire, elle regarde tout sauf moi. Depuis qu'elle a dit qu'elle allait me raconter son histoire, je n'ai pas prononcé un mot. Je retiens presque mon souffle. Je ne la connais que depuis quelques semaines mais je sais qu'elle se cache, qu'elle se protège derrière une armure cabossée. Elle fait quelques pas dans la cuisine, se mordant lintérieur de la joue avant de se maintenir sur le dossier d'une chaise puis de se raviser pour s'adosser au comptoir. Elle lève enfin les yeux vers moi, soupire et se lance :

-J'ai rencontré Gary quand j'avais vingt et un an. Je commençais mes premiers petits boulots en tant que troisième assistante réalisateur mais j'étais bourrée d'ambition. Mon rêve c'était de devenir scénariste.

Sarah baisse les yeux et sourit en se mordant la lèvre inférieur.

-Je travaillais sur le tournage de la série « Âmes meurtrières »...Je ne sais pas si tu connais ?

J'acquiesce en silence. C'est une série assez populaire qui passait sur une chaine public. J'ai déjà vu un ou deux épisodes mais le public visé était clairement plus agé que moi. J'essaye de me rappeler le visage des acteurs mais en vain. J'irais chercher sur internet plus tard.

-Gary était l'acteur principal ; il jouait un psy reconverti en flic... Bref, il était toujours très sympa et tellement beau. Il me faisait pensé à ces bruns ténébreux et musclés qui sont décris dans les livres. Raconte Sarah. J'étais jeune, j'étais naïve et j'étais surtout complètement novice en ce qui concerne les relations amoureuses.

Sarah se retourne et ouvre le réfrigérateur pour en sortir deux bières dont une qu'elle pose devant moi. Elle sort un décapsuleur d'un tiroir, ouvre sa bouteille et me le tend. Je la vois avaler plusieurs gorgées comme pour se donner une contenance ou du courage liquide.

-Un jour, il m'a offert un pétale de rose. j'ai été à la fois touchée et surprise par l'attention. Il m'a expliqué qu'il n'était pas encore sur que je sois digne d'une rose entière. J'ai trouvé ça tellement drôle et romantique ! Et puis il a commencé à m'en amener un chaque jour

J'avale une gorge de bière pour m'empêcher de lui faire remarquer que cela sentait le manipulateur à vingt kilomètres. Ce salop a profité de la naïveté d'une fille qui commençait dans le métier. Il n'en était sûrement pas à son coups d'essai. Je vois Sarah se perdre dans ses pensées, un sourire triste sur les lèvres.

-Bien entendu, il faisait tout cela en secret car selon lui cela n'aurait pas été très professionnel de s'afficher au travail. Dit -elle en croisant mon regard. Peu de temps après, nous avons fait lamour et il m'a enfin offert une rose. Elle était rouge, de la couleur de la passion et elle était parfaite, sans aucun défaut. Je suis tombée follement amoureuse de lui.

Je porte à nouveau la bière à ma bouche pour me donner une excuse de baisser les yeux et ainsi cacher la jalousie qui monte en moi.

-Après le tournage, il m'a demandé de ne pas retravailler immédiatement. Il voulait que je sois dispo pour lui ; d'autant plus qu'il avait envoyé mon scénario à des producteurs. C'était faux, bien sur. Pendant que je l'attendais sagement à la maison, il paradait aux bras de belles actrices lors d'événements publics car son agent l'y obligeait pour améliorer son image et sa popularité. Encore un mensonge mais je le croyais quand il disait qu'une fois numéro un, il pourrait se montrer avec moi.

Sarah jette sa bière et saisit une éponge pour frotter le comptoir immaculé. Malheureusement pour moi, je commence à comprendre les similitudes de notre situation et les raisons pour lesquelles elle a gardé des distances.

-Peu à peu, le vernis s'est craquelé et il a dévoilé sa vraie personnalité. Tantôt séduisant, beau parleur, tantôt jaloux, violent ou manipulateur. Il venait toujours chez moi mais nous n'allions jamais chez lui. Je vivais chaque seconde de ma vie dans l'attente dun coup de fil, d'une interaction avec lui...Je me suis demandée si c'était normal mais il était le seul à vouloir de moi alors je m'y accrochais.Je n'en parlais à personne comme il me l'avait demandé. Je me suis coupée de mes amis, ma famille. Tous ceux qui auraient pu maider.

Léponge finie balancée dans l'évier puis Sarah tourne en rond dans la pièce, le regard perdu au loin :

-Un jour il me présente à un ami à lui puis lorsque nous rentrons il se met en colère, me dit que je lui ai fait honte. J'ai pleuré toute la nuit mais j'ai accepté. Ensuite ont commencé les insultes. Il disait que j'étais moche, un autre jour il trouvait que mes seins tombaient ou que mes hanches étaient larges et difformes. Il me répétait que personne ne voulait de moi, que je n'étais quune merde au contraire de lui. Je l'ai cru. Je suis restée. Jai essayé de tout faire pour lui plaire. Alors qu'il devenait mon bourreau, je devenais sa prisonnière, séquestrée dans une prison psychologique.

Je suis sidéré, choqué, horrifié par ce que j'entends. J'ai envie de tuer ce mec, de le détruire pour ce qu'il a fait à ma Sarah. Je comprends à quel point elle a été brisée et comme il doit être difficile pour elle d'accorder sa confiance à un homme. Je sens la colère monter en moi puis se transformer en rage. Je sers les poings pour laisser Sarah évacuer tout ce qu'elle a si longtemps retenu.

-Combien de temps ça a duré ? Je l'interroge pour linciter à continuer.

-Des mois...réponds-t-elle amorphe. jusqu'au jour où il est arrivé chez moi et s'est mis à brailler qu'il avait une « vraie » copine et que je n'avais été qu'une misérable distraction. J'ai attendu qu'il parte puis j'ai fait une valise. J'ai tout laissé en plan, pris un billet davion, mes maigres économies et je me suis enfuie en Allemagne. C'est la dernière fois que je l'ai vu.

Je ne sais pas comment réagir. J'ai envie de la prendre dans mes bras mais je sais qu'elle me repousserait alors je reste immobile pour ne pas la faire fuir.

-Sarah... je commence. Il n'y a pas de mots pour décrire ce que ce type t'a fait. Je pourrais aisément me laisser convaincre de le massacrer si ça pouvait te faire aller mieux.

-Non, c'est du passé. Déclare Sarah avec un soupir las. Je veux simplement que ça le reste. Tu es le seul avec Vanessa qui soit au courant de ce qu'il sest vraiment passé. Ne le raconte pas à Tobias s'il te plait. Il en ferait tout un cinéma et je n'en ai pas besoin.

-Je ne dirais rien, je promets. Dit moi ce dont tu as besoin. Je suis là.

-Justement répond Sarah en évitant mon regard. Ce dont j'ai besoin cest que tu me laisses tranquille.

-Non. J'objecte. C'est la seule chose que je ne peux pas te donner. J'ai besoin de toi, de nous.

-Nous deux c'était voué à l'échec ! Fulmine Sarah. Tu ne vois donc pas que tu fais exactement ce qu'il a fait ?

-Ne dit pas des bêtises, Sarah...

-Lui non plus ne m'aurait jamais laissée...

Mon coeur se serre à ces mots. J'ai limpression qu'il est en train de se briser. Je réalise seulement que je suis tombé amoureux de Sarah.

-Je t'aime, Sarah. Je dit simplement.

Elle se fige un instant et me regarde abasourdie puis se reprend et se racle la gorge.

-Si tu m'aimes vraiment, tu comprendras qu'on ne peut pas aller plus loin

Je suis au pied du mur ; soit je refuse de la laisser et elle me verra comme son ex ou soit je pars mais je renonce à celle que j'aime.

Je m'approche d'elle, elle recule de quelques pas mais se retrouve acculé au mur. Je prend son visage dans mes mains devant son regard perdu.

-Je t'aime, Sarah. Je suis fou de toi mais s'il faut que je te perde pour te permettre d'être heureuse alors ainsi soit-il.

Je dépose un léger baiser sur ses lèvres et la laisse ainsi. Ses yeux sont brillants, je sais qu'elle retient ses larmes. Je ramasse mes clés et quitte son appartement non sans lui jeter un dernier regard.

TOUT mais pas TOIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant