LA LETTRE DE PERSONNE

276 14 5
                                    

Dans le bureau de Barnabas Cuffe, on entendait uniquement la respiration saccadée de l'homme qui, les cheveux en bataille et - oh sacrilège - la cravate de travers, tentait de faire régner l'ordre. De toute évidence, ce serait absolument vain.
Pour commencer, Ginevra Potter avait "omis" de rapporter l'interview de Ragmar Dorkins qu'elle aurait dû présenter il y a de cela deux semaines. Sans doute pensait-elle que la gloire et la célébrité excuseraient pour elle ses retards récurrents...
Ensuite Betty avait déposé son rapport dans les archives au lieu de la salle d'impression, puis, Rita qui semblait trop absorbée par son énième biographie, Weasley, la face cachée de l' Ami pour daigner venir travailler.
S'y ajoutait l'édition spéciale du Chicaneur qui était dans tous les esprits, toutes les conversations et dans toutes les bouches. Ceci à cause de l'élection ministérielle proche et de la candidature d'Hermione Granger-Weasley, favorisée par l'Ordre du Phénix et par Shacklebolt.

Cuffe prit sa plume verte ainsi qu'une note de service neuve.

Pour Portman.
Dans mon bureau. De suite.

B. Cuffe

P.S. Dépêchez-vous un peu pour l'amour du ciel !

Il envoya la note et reprit son travail, donnant de temps en temps quelques coups de pieds dans les piles et les cartons entassés dans le bureau.
Portman était un homme d'une quarantaine d'années, brun et un peu trop grand. Ce devait être ses yeux verts émeraude qui rendait Cuffe cinglé. Ils l' exaspéraient. Toujours à fouiner et à chercher un détail à remarquer. Remarques qui n'avaient pas lieu d'être puisque Gustav était son assistant, par conséquent son subalterne.

Ceci dit, il n'a pas tort, songea Barnabas, tout est vraiment mal fichu.

Enfin, on toqua à la porte.

- Entrez ! Ne perdez pas plus de temps que celui que vous avez déjà gaspillé ! Du courrier ? Les chiffres du Sorcier du Dimanche ne sont pas bons, Sorcière Hebdo est encore en tête des ventes... Il nous faut quelque chose pour cette semaine, quelque chose qui fasse vendre. Asseyez-vous.

Portman s'assit prudemment sur la chaise bancale, de peur de basculer sur une pile de dossiers.

- Il y a ce dossier et cette lettre, tenez.

Il lui tendit un parchemin verdâtre, avec un cachet en cire, verte également. Le sceau représentait un serpent. Contrairement aux sceaux habituels, celui qui fermait ce papier simplement plié en quatre était animé. L'animal ondulait en continu sur la surface de cire.

- Étrange, vraiment très étrange... Vous vous souvenez du hibou ?
- Il n'y en avait pas. C'est arrivé par la fausse... Heu... Boîte à lettres ? Ce truc moldu qu'on a installé pour faire semblant d'être des moldus.

Cuffe dévisagea son assistant. Se moquait-il de lui ? C'était fort probable; les moldus n'envoient pas de lettres sans adresse précise, encore moins avec un cachet de cire mouvant en forme de serpent. Cependant il n'y avait ni trace de bec ni cordelette à attacher à une des serres de l'oiseau.

"Inutile de s'attarder là-dessus. Il me l'a apportée sans l'ouvrir. Aucun reproche à faire, se dit le sorcier."

- Et qui vous l'a donnée ? Comme vous l'avez dit, c'est une fausse boîte aux lettres. Vous n'aviez pas à aller l'ouvrir...
- Il me semble que c'était le concierge, Axel Stuart.
- Celui qui a un penchant pour le Whisky Pur Feu ? Vous me l'enverrez cet après-midi.

Cuffe soupira et décacheta le parchemin. Il en jaillit une fumée légère, semblable à celle d'un Patronus mais d'une jolie teinte, verte également.

Pour Barnabas Cuffe, La Gazette du Sorcier.

J'ai été expulsé de Sainte-Mangouste après une plainte des guérisseurs: j'ai été blessé au cœur par un membre de l'Ordre du Phénix et une fichue empreinte sur mon bras les empêche de faire sur moi leur boulot.
Quelle saleté cette marque !
Leurs registres montrent pourtant que je les ai quittés !
J'habite momentanément chez un ancien collègue. Un chic type, je peux vous le dire !
Je sens que je vais bientôt crever comme un chien aveugle. Je déteste ce monde et ma dernière volonté est de vous donner cette lettre. J'ai pas de hibou alors je vous la fait à la moldue...
Sachez que rien n'est encore vraiment fini, vous devez retrouver ce qui a été écrit sur le Parchemin d'Argent.
Voilà. Je suis vengé.

" C'est tout ? " se demanda Barnabas Cuffe, un peu trop fort peut-être, car Portman réagit aussitôt :
- Quelque chose de grave ? Un scoop ?
- Surtout une sacrée énigme. Lisez.

Il lui tendit la lettre. L'assistant la parcouru rapidement, releva sa petite tête abasourdie pour articuler quelques mots.

- Si je ne me trompe pas c'est une lettre d'un Mangemort à l'agonie ?

- Je crois bien, repris le patron. Et il veut que nous trouvions un artefact caché je ne sais où. Ensuite c'est à nous de voir. Mais à la réflexion, c'est sans doute un agitateur public qui veut s'amuser tandis que des journalistes résolvent pour lui une énigme absurde. Une fois qu'il s'est bien marré, soit il profite de la célébrité que ça lui rapporte, soit il disparaît comme ci ou comme ça de la société et on en reste sur un mystère. Dans ce cas les lecteurs sont furieux d'avoir perdu un temps précieux et se retournent contre nous. Un agitateur public, je vous dis !

- Et qu'est-ce qu'on fait ?

Que faire...Cuffe n'en savait rien. Il tenta de mettre des indices sur papier mais ça ne donnait pas grand-chose. Ayant un doute, il s'adressa à Gustav :

- Portman, que répondez vous si je vous demande le nom de quelqu'un dont on n'est pas sûr de l'orientation politique magique, qui est largement calé magie noire mais qui a plus ou moins rejoint l'Ordre ?

Portman prit un temps de réflexion, avec ce petit tic nerveux qu'il avait quand un supérieur lui posait une colle.

-Ou simplement quelqu'un sur qui nous possédons des informations utiles ? Il nous faudrait un moyen de pression.

Gustav Portman montra le dossier qu'il avait apporté. Cuffe y trouva une dépêche toute prête à être publiée, sur une sombre histoire de  corruption au Département de la justice Magique.

- Drago Malefoy ? proposa Portman, guettant la réaction du chef qui lisait encore.

Barnabas Cuffe releva la tête et dévisagea son assistant avec un sourire de reptile.

- Parfait, vous vous en chargez en priorité, dit-il en désignant la porte. Et, Portman ! ALLEZ ME TROUVER RITA POUR L'AMOUR DU CIEL !

Drago Malefoy Et Le Coeur De SalazarOù les histoires vivent. Découvrez maintenant