Pour débuter, sache que je suis sincèrement désolé.
Désolé de ne pas avoir été assez présent, de ne pas décrocher lorsque tu m'appelles, de ne pas toujours venir te rendre visite.
J'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur. Mais, tu sais, je craignais que tu ne le découvres. J'ai conscience que tu es du même avis que papa sur ce point ; alors j'ai préféré me taire, l'air de rien. J'ai choisi de fuir mes problèmes, partir en courant en leur tournant le dos, plutôt que de me pointer face à eux, les fusillant du regard. Que je suis pathétique...
Après tout, c'est toi qui lui as transmis cette façon de penser. Mais je ne peux t'en vouloir ; à votre époque, rien ni personne n'acceptait cela. C'était impensable pour vous de le concevoir.
Mais, dorénavant, les mentalités ont changé. Fort heureusement, j'ai envie de dire. Cependant, ce n'est toujours pas assez à mon goût. Beaucoup de personnes l'acceptent, apprécient ce choix et ce mode de vie. Néanmoins, beaucoup de personnes également n'arrivent à vivre avec cette idée. Pourquoi ?! Mamie, pourquoi est-ce si mal vu ? Après tout, on ne commet pas de crime ! On est seulement la personne que l'on voudrait être, en s'assumant parfaitement ! Pourquoi les gens verraient un inconvénient à cela ? N'est-ce pas beau, quelqu'un qui s'assume tel qu'il est, avec ses qualités, ses défauts et son caractère bien trempé ?
Mamie, je t'avoue que j'ai bien du mal à mettre la main sur le mystère de la société d'aujourd'hui. On nous balance dans des cases en nous regardant seulement une fraction de seconde ; alors que notre beauté extérieure ne définit pas celle de l'intérieur ! C'est si dingue en y pensant : se rendre compte que l'humain peut arriver à un stade si élevé niveau débilité, alors que c'est l'espèce vivante la plus intelligente qui ait été découverte...
Parfois, je me dis que j'aurais aimé vivre dans ton temps. Mais, finalement, dans les deux cas, j'aurais souffert. Alors, à quoi bon vivre ? Bordel, pourquoi s'infliger de telles absurdités ?! Non, ça m'est tout bonnement impossible.
Jadis, on enfermait les gens dans mon genre pour leurs différences. On les battait, les tuait ; sans aucun scrupule, jouissant de leur martyre. On prenait un malin plaisir à les voir agoniser, priant leur étoile pour qu'on leur vienne en aide. Tu imagines ce que ça aurait été si j'avais vécu en ce temps, en ton temps ? Je n'aurais même pas profité d'un quart de ma misérable vie. Je serais probablement mort à l'heure qu'il est ! Mais c'est ignoble !
Y aura-t-il une époque future où tout ce bordel ne sera plus qu'un lointain souvenir ? Où les gens de ma catégorie pourront sortir paisiblement, oser se montrer sans aucune crainte d'être piétiné ? J'en rêve, mamie. J'en rêve parce que c'est tout ce dont j'ai le pouvoir de faire.
La vision des choses a peut-être changé au fil des années, mais le résultat reste le même. On est toujours aussi mal vus, mal appréciés, on nous souhaite tout le malheur du monde. Mais, mamie, que c'est horrible !
Es-tu comme eux, à souhaiter cela à ton propre petit fils ? Es-tu aussi inhumaine que ce groupe de personnes complètement écervelées ? Mamie, enfin, ouvre les yeux !
Te voir cracher des injures lorsque des personnes de mon genre se montrent à la télé, dans la rue... c'est si cruel ! Et à chaque fois, je me dois de me taire, de ne pas l'ouvrir ; parce que, sinon, tu comprendrais. Et le fait que tu puisses mettre la main sur mon secret, ce secret si bien gardé depuis des lustres, est tout simplement inimaginable pour moi. Personne ne doit jamais en avoir connaissance. Personne. Je n'ose tenter de savoir comment tu me verrais suite à ma révélation. Tu me mépriserais, me renierais !
Et les gens qui remarquent que quelqu'un nous insulte, nous rabaisse, nous frappe même, et qui ne font rien, mais merde, ils attendent qu'un meurtre se passe pour bouger leur cul ? Si c'était eux à notre place, ils auraient imploré notre aide ! Alors pourquoi ne viennent-ils pas nous porter secours ?
J'ai appris qu'il y a deux clans, mamie. Les harceleurs, et les harcelés. Et si tu ne fais pas partie de l'un, tu fais forcément partie de l'autre.
Ne pas réagir, c'est accepter ce que l'on voit, trouver ça normal. Mais non, mamie, ce n'est pas normal ! C'est grave, très grave même ! C'est un acte barbare, un crime !
Je sais bien que je n'arriverai jamais à changer ta vision des choses. Tu es née avec, tu as grandis avec, et tu t'endormiras avec. Mais juste, essaie de te mettre à ma place, à notre place, ne serait-ce qu'une minute.
Mamie, s'il te plaît, si jamais il s'avère que Lizzy est en fait comme moi, prends soin d'elle et ne la juge pas. Je ne veux surtout pas qu'elle finisse comme je le suis, détruite et vide de l'intérieur. Même si tu n'apprécies pas cela, fais-le pour moi et pour elle. Pour tes petits enfants.
Peu importe ce que nous prenons comme choix dans la vie, même si tu n'es pas d'accord avec nous, nous t'aimerons toujours. Tout ce qui compte, c'est notre bonheur, non ? Alors, je t'en prie, si jamais Lizzy découvre qu'elle est dotée de cette différence, aime-la toujours, quoi qu'il arrive. Protège-la contre tout danger, je ne peux pas concevoir qu'il puisse lui arriver quoi que ce soit.
J'aurais apprécié te dire tout cela en face, mamie, mais je n'en ai pas le courage. Alors j'utilise cette putain de feuille et ce putain de stylo pour laisser mon cœur s'évader, lâcher tout ce qu'il a encaissé pendant tant d'années.
Je suis désolé de devoir partir avant toi, mamie, je sais que tu as toujours dit que tu t'envolerai avant tout le monde. Mais c'est sûrement mieux ainsi.
Prends soin de toi, de maman, de papa, de Lizzy.
Crois-moi, je ne t'en veux pas. On se reverra, mamie, dans l'au-delà.
Choqué mais comblé, Leny
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Mes derniers maux
NouvellesÀ vous, Vous qui m'aimez, Vous qui me comblez, Je vous adresse ces derniers mots sur ces feuilles de papier, Car vous vous devez de savoir Ce qui m'est arrivé, Avant que je ne parte Pour l'éternité. ______ Pour les personnes sensibles au thème du su...