6 ~ Voir rouge / Avoir le blues ~

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   Une énième assiette vola dans l'appartement avant de se briser violemment contre le mur. Les morceaux glissèrent au sol jusqu'à former un tas de verre dangereux ; quoique la plus dangereuse ici, c'était moi. N'ayant plus rien sous la main, je commençais à pester contre le monde entier en donnant des coups de pied, de poing, là où je pouvais, donc partout en théorie.
— Pourquoi m'as-tu encore laissée ?
   Je n'avais pas hurlé comme j'aurais pu le croire : l'exprimer verbalement avait soudainement fait taire la colère qui s'était si violemment déchaînée en moi.
— Pourquoi ?
   Dans un long soupir, je me traînais jusqu'au lit découvert où trônait une tache de sang : la mienne. Recroquevillée, j'observais la fenêtre encore ouverte par laquelle il était parti, sans que je ne puisse l'en empêcher. Il s'était juste enfui après une nuit suave et chaude... Qu'étais-je pour lui ? La femme aimée ? L'histoire d'un soir ? Seulement un corps ? Rien ?
   En tout cas, rien qui ne puisse le pousser à rester auprès de moi, à accepter ses sentiments – dont je doutais, à présent. Pourquoi était-il parti alors que je voulais l'embrasser au petit matin ? Ce regard désolé, peiné, m'avait poignardé la poitrine. J'ai cru ne plus respirer un instant, comme si la vie s'était arrêtée le temps de son départ précipité, sans paroles.
   J'étais seulement sortie de ma torpeur en le voyant ouvrir une fenêtre :
— Pourquoi tu pars ? avais-je bredouillé, reste...
  Un nouveau regard désolé, et dans un bond agile, il avait disparu de mon champ de vision. Sur le moment, je n'avais pas compris. J'étais restée assise, la couverture ayant délaissé ma poitrine frissonnante, fixant la fenêtre se mouvoir au gré des vents.
   Ce n'était qu'une longue heure après, sans bouger, que je m'étais remise à bouger. Muette, je m'étais recouchée dans le lit, sans réussir à exprimer un mot, choquée. J'aurais aimé exprimer ma souffrance, mais les paroles m'étaient perdues. J'aurais aimé montrer ma douleur, mais les larmes restaient enfouies. Je n'étais qu'une façade sans expression.

***

   Devant le grand miroir du salon, je glissais mes mains sur ma taille, contournant délicatement mon ventre rond, sans cesser de fixer mon reflet, lèvres entrouvertes. Sept mois que tu avais disparu, pourtant, tu restais présent, fruit d'une nuit.
   Mes amis s'intéressaient de plus en plus à moi. Ils me voyaient plus prudente, moins dynamique, plus froide, et m'avaient longuement questionnée, mais je n'avais jamais cédé. Je connaîtrais leur effarement en apprenant la vérité, mais moi-même étais terrorisée : que faire ? Le dire à qui ? Comment ? Or, je n'avais aucune réponse à ces questions, alors pourquoi leur en parler ?
   Me sentant terriblement seule alors que j'étais si souvent entourée, j'avais l'impression d'être si loin des autres... Cette simple idée me faisait verser des larmes, comme je le faisais si souvent depuis le début de cette grossesse.

***

   En urgence, j'étais venue à Polyussica. J'accouchais. Six longues et tortueuses heures de contractions plus tard, je donnai naissance à une petite fille. Yeux à peine ouverts, étirant ses lèvres, se mouvant dans mes bras, j'obervais ses sourcils bleus. Les cheveux de son père, elle aurait.
— Tu as réfléchi à un nom ? m'interrogea soudainement la vieille femme.
   Je me contentai de secouer la tête de droite à gauche, observant son visage tout rond, ayant envie de tirer sur ses joues. Ma petite, que te raconterais-je quand tu viendras à demander ton père en voyant tous les autres enfants avec ? Que devrais-je te dire ?
   Je glissai mes doigts sur sa joue chaude et douce, sans cesser de fixer ses yeux :
— Saphir.
— Pardon ?
— Elle s'appellera Saphir.


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J'ai failli vous oublier, désolée >...<
Ça va ?
Par contre, il va y avoir du retard pour le dernier OS (non écrit) car j'ai une semaine chargée :/
Vraiment désolée >..<

Jerza Love Fest 2018 [Spécial 100K] | TERMINÉE |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant