Lyse
— Est-ce vrai que vous et votre équipe avez réalisé des expériences sur des êtres humains ?
— Cela a-t-il un rapport avec les disparitions massives de détenus de camps de redressement ?
— Le lanceur d'alerte qui a fait fuité cette information, s'est-il vraiment suicidé ou l'y a-t-on aidé ?
La professeure Lyse Zverev, femme acariâtre et aux cheveux grisonnants, slaloma entre les journalistes postés devant l'entrée. Elle finit par forcer le passage, et put enfin atteindre la grande porte en verre de l'institut de recherche. Derrière elle raisonnaient encore les questions dûment légitimes, mais auxquelles elle n'avait en aucun cas le droit de répondre à propos du projet « Affras ». Elle se rendit sans plus attendre dans l'aile où se trouvait son laboratoire, sans tenir compte non plus des regards intrigués ou dégoûtés qu'on lui jetait.
Tout s'était passé si vite. La veille au soir encore, elle rêvassait seule dans son appartement aussi vide que spacieux. Elle songeait à sa carrière qui avait de nouveau une chance d'atteindre la renommée qu'elle avait connue, il y avait des décennies de cela.
Et en pleine nuit, elle apprit qu'un des membres de son équipe avait sorti hors du laboratoire des documents compromettants, au sujet de la véritable méthode qu'ils utilisaient pour leurs « simulations ». Il avait été retrouvé mort. Suicide ? Non, il était nouvellement marié et parlait déjà d'adopter un enfant...
Le Gouvernement n'avait certainement pas apprécié que les secrets de cette mission soient révélés à l'opinion publique. Il faisait donc disparaître toute preuve de sa collaboration, et d'une manière efficace il fallait bien l'avouer. Mais il était déjà trop tard pour arrêter ces fuites, et Lyse se savait la prochaine cible à éliminer. Elle était même la seule à connaître la teneur exacte des expériences menées sous ses ordres...Lyse arriva dans le bureau qu'elle partageait avec les autres chercheurs en anthropologie. L'intérieur du vieux bâtiment à la peinture écaillée et au parquet rayé par des siècles de passage détonnait avec la rangée d'ordinateurs qui tapissait entièrement un des murs de la salle. Salle qui, d'ailleurs, se trouvait inhabituellement vide. Lyse espéra que l'absence de ses collègues soit due à leur bon sens de s'être cachés à temps, plutôt qu'à leur élimination.
La chercheuse savait parfaitement ce qu'elle avait à faire. Mais cela lui paraissait encore trop irréaliste. Elle avait déjà réussi à arriver jusqu'ici, alors qu'elle pensait subir un quelconque accident brillamment maquillé sur son chemin.Elle s'accorda un café avant de s'atteler à son ultime travail en ces lieux. Elle avait beaucoup à accomplir et sans doute très peu de temps. La tasse était mal nettoyée, la boisson amère lui laissa un goût étrange dans la bouche.
Lyse rassembla tous les documents en rapport avec leur mission et les jeta au sol sans plus de cérémonie. Elle se revoyait présenter son idée au Gouvernement, qui permettrait de maintenir l'ordre malgré les crises successives que le pays subissait. Elle s'apprêtait à brûler ce dossier symbolique, qui avait été le début de tout cela.— Lyse !
L'interpelée se retourna en sursautant. Elle reconnut Dimitri, l'un des chercheurs travaillant pour elle.
— Expliquez-moi Lyse !
— Je ne peux rien vous dire qui puisse vous sauver Dimitri, dit Lyse d'un ton glacé. C'est insensé que vous soyez venu, ils savent où vous trouver.
Dimitri lui saisit brusquement les épaules et oubliant toutes ses réserves, il lui dit d'un ton implorant :
— Le Gouvernement était au courant, pourquoi nous fait-il disparaître les uns après les autres ? Le Président de République vous a donné en personne l'autorisation de mener nos travaux ! Répondez-moi !
— Cela fait bien longtemps qu'on ne peut plus décemment appeler notre pays à la dérive une « République », Dimitri.
Les yeux de l'homme s'humidifiaient de rage, de terreur, d'incompréhension. Lyse elle-même était en danger imminent, alors pourquoi agissait-elle fidèle à elle-même, comme si rien ne la concernait ?
— Écoutez, reprit-elle en repartant effectuer sa tâche. Prenez un congé et partez loin d'ici au plus vite.
— Répondez-moi au moins pour une chose. Je serai sûrement mort dans quelques heures. Cette simulation...
— Si vous voulez espérer aller au paradis, prétendez devant le Seigneur que vous n'en saviez rien.
— Ce n'était pas des... de vrais... ? demanda Dimitri sans parvenir à achever sa phrase.
Lyse hocha sèchement la tête sans témoigner de la moindre émotion.
— Eh bien, nous nous reverrons en enfer Lyse.
— Sans aucun doute. J'y apprécierai votre compagnie.
Dimitri partit sans un regard en arrière et descendit lentement pour emprunter une porte secondaire. Toutes les sorties étaient évidemment surveillées. Dimitri devait s'en douter : une fois entré en ces lieux il s'était condamné. Il avait fait passé sa curiosité devant sa prudence, voulant à tout prix savoir pourquoi on voulait sa mort. Eh bien le prix sera sa vie, n'était-ce pas ironique ? Lyse méprisait ce genre de comportements irréfléchis.
Elle finit de réunir la totalité des documents papier : brouillons, notes manuscrites, dossiers imprimés... Elle monta sur une paillasse et entoura l'alarme incendie au plafond d'un sac de plastique. Elle observa la masse de papier au sol quelques instants, puis brûla toutes ces années de travail intense et passionné. Elle détruisit aussi les disques durs des ordinateurs pendant que le feu commençait à prendre au milieu de la pièce. Le but n'était pas de détruire les preuves des horreurs qu'elle avait perpétrées en toute connaissance de cause, mais bien de supprimer toute trace de la destination où elle comptait se rendre pour sauver sa peau.
Elle récupéra ensuite ce dont elle avait besoin pour son voyage. Elle prit d'abord une mallette contenant les prototypes de portails dimensionnels miniatures. Elle s'assura qu'ils y étaient bien tous, puis elle alla chercher dans un placard réfrigéré un sérum très particulier. Ce dernier permettait de remplacer à loisir la mémoire de toute personne à qui il est injecté, par de faux souvenirs préalablement programmés.
Son équipe avait utilisé ces outils dans le cadre de leur études anthropologiques. Elle les voyait désormais comme la seule solution pour survivre, autant pour elle que pour l'humanité. Mais le sort de cette dernière la touchait beaucoup moins en comparaison.Une grande partie de l'étage était à présent en proie aux flammes destructrices. Quelqu'un allait finir par s'en apercevoir depuis l'extérieur et comprendre ce qu'elle y faisait, mais il serait alors trop tard. Lyse quitta ce brasier et s'empressa d'allumer le portail fixe de son laboratoire, dans la salle voisine. Elle bénit le Ciel que la porte soit restée déverrouillée. Personne n'avait dû s'imaginer qu'elle irait s'exiler d'elle-même dans l'enfer qu'elle avait créé.
Elle passa à travers et immédiatement elle se retrouva... ailleurs. Ses pieds s'enfoncèrent dans une épaisse couche de neige et le ciel bleu pur n'avait rien de commun avec celui pollué de la Capitale, où elle se trouvait un instant plus tôt.
Sans regrets, elle éteignit le portail et en changea les coordonnées, supprimant ainsi son seul moyen de retourner dans son monde d'origine puisqu'elle ne connaissait pas la série de chiffres qu'elle venait de remplacer.
Sa nouvelle vie commença. Elle espéra qu'elle saura être plus humaine que dans sa précédente.

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Affras l'Artificieuse
Khoa học viễn tưởngTrois points de vue. Trois destins croisés. Une même ville dans cinq dimensions. Une révélation qui va tout ébranler. Φ Alors que les détails de l'expérience humaine « Affras » commencent à fuiter, Lyse s'exile hors de son monde avant que le Gouve...