Affras la Nouvelle

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Alvar

    La mémoire est une chose bien étrange, s'il en est. Alvar avait perdu cette partie de lui, par un important traumatisme sans doute. Et il avait suffi que quelques éléments soient associés pour lui permettre de la retrouver.
     La pluie. Un policier. Une arrestation. Un portail occulte. Cela lui était déjà arrivé. Et cela avait activé des connexions oubliées dans son cerveau. Mais cela était bien trop douloureux d'y repenser, de repenser à tout ce qu'il avait perdu... sa raison entre autres, mais aussi son épouse, ses deux fils...

     Alvar toucha de nouveau terre. Il pleuvait, il faisait froid. Il fixa l'agent Moreau. Était-ce être fou que d'ignorer la réalité, volontairement ou non ? Dans ce cas, ils l'étaient tous à l'exception d'Alvar qui, lui, savait.

— Monsieur, je ne le répéterai pas une fois de plus. Suivez-moi ou j'appelle mes collègues.

— Ce n'est pas la peine. Je vous suis.

     Alvar se redressa sans se presser. Il emboîta le pas de Moreau, tandis que l'averse reprenait drue. Heureusement, le commissariat se trouvait non loin.

— Bonjour Hansen, salua Moreau à son arrivée.

— 'Lu Moreau. Je vois tu as ramassé du monde pendant ta tournée.

     Alvar ajusta son veston détrempé pour essayer de faire bonne figure. Il observa silencieusement la pièce. Le mobilier était sobre et strictement fonctionnel, tout de plastique et de verre. Alvar reporta ensuite son attention sur les deux agents. Moreau était en train de montrer la carte d'identité d'Alvar à son collègue.

— Je ne vois pas ce qu'elle a d'étrange, dit Hansen en l'examinant.

     Moreau sortit un dossier de sous une pile sur son bureau. Celle-ci s'effondra à moitié mais il n'y fit pas attention.

— Sur chaque carte il y a une série de chiffres sur le côté, dit Moreau.

— Merci. Je suis policier, et non pâtissier.

     Moreau ne releva pas du sarcasme et poursuivit :

— Les premiers chiffres sont toujours identiques : zéro - deux - trois, et ensuite c'est l'identifiant du citoyen. Et là regarde.

— Zéro - un - huit, lut Hansen devant l'insistance de son confrère. Et ?

— Pour chaque personne qui a l'air complètement perdu que je ramasse dans la rue — ne prenez pas mal Monsieur Brendys — il n'y a pas les numéros habituels.

— Tu veux dire que les numéros rendent les gens étranges quand c'est pas les bons ? fit Hansen en haussant sarcastiquement les sourcils.

— Je ne fais pas de conclusions hâtives. Je constate c'est tout. Et je pense qu'il faut faire remonter cette information aux dirigeants.

— J'ai d'autres choses importantes à dire aux dirigeants, intervint Alvar.

      Moreau et Hansen se retournèrent vers lui. Contrairement aux autres personnes « étranges » ayant cette même anomalie de carte d'identité, Moreau se rendit compte que ce Thom Brendys semblait comprendre où il se trouvait. Il ne s'était pas étonné une seule fois de la pluie par exemple, contrairement aux autres.

— Des choses de quel ordre ? demanda Hansen. Les dirigeants n'acceptent pas facilement les visites.

      Alvar savait. Mais cela ne suffisait pas pour faire connaître la vérité au monde. Il ne voyait même pas comment exprimer ce qu'il savait, les mots n'étaient pas assez.

Affras l'ArtificieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant