Chapitre 20

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-Et là, et bah ZBLAM elle m'a planté sa fourchette dans le bras, mais genre, genre comme ça pask'j'voulais pas partir !

La tête tournante, renversée vers le ciel, et celle de Julia sur ses genoux, Tony l'écoute raconter l'origine des quatre points blancs sur son bras droit. La nuit est avancée, la bouteille au sol presque vidée, et une forte odeur d'alcool les entoure.

-Japon, japon, j't'en foutrai du japon m'man...

Tony sursaute, sortant un instant de sa transe

-Eeh, tu parles japonais aussi ?

-J'parle troooop d'langues ouais, desfois je fais des traductions littérales qui veulent rien dire c'est nimp

-Ouaaah mais tu parles quoi exactement?

Elle fronce les sourcils, puis remonte ses mains au niveau de son visage, abaissant un doigt à chaque nouveau pays.

-Euuh, anglaiiis, espagnol... Russe aussi, japonais du coup... Norvégien et allemand, français, enfin bon ça se ressemble tellement à l'espagnol que voilà...

-Bordeel c'...

-AH et vite fais suédois aussi, mais genre les bases

-...

-Tu disais un truc?

-Nan c'est, wow.

Elle hausse les épaules

-Ça s'apprend.

Balançant ses bras au dessus d'elle et baillant, Julia s'étire alors que la fatigue la gagne enfin - ils ont passé ce qui sont probablement des heures maintenant sur ce canapé, entre shots et confessions. Ils avaient tous deux besoin de se confier. Comment, pourquoi cela s'était fait si facilement, qu'est ce qui les avait amenés à mettre des mots sur des traumatismes qu'ils avaient jusqu'à là gardés secrets? L'alcool, peut être. La confiance, même si soudaine. L'instinct aussi. La fatigue. Le désespoir.

Leurs enfances respectives s'étaient mélangées cette nuit là aux étoiles, à la boisson et parfois même à quelques larmes discrètes. Enfin, un poids venait de quitter leurs épaules.

Les yeux de l'agente se ferment, et sa respiration ralentit, glissant dans le sommeil - Tony la suit peu de temps après. Ils restent ainsi quelques heures de plus, jusqu'à ce que la lumière du soleil se fasse trop forte. Julia est la première à se réveiller - ouvrant laborieusement les yeux, elle finit par se lever. Elle s'approche alors du bord, celui qui tend vers le lac, et s'assoit à quelques centimètres du vide. Quelques bâtiments s'étendent devant elle, la séparant du lac. À sa gauche, un seul, puis la forêt. Elle n'est pas très dense aux abords directs du campus, et l'agente laisse son regard sauter d'une clairière à une autre. Elle s'est entraînée de nombreuses fois dans ces bois, et les connait bien maintenant. Ils peuvent être incroyablement apaisants - enfin, à condition de ne pas être en plein simulation de scénario catastrophe. Il lui arrive de courir là où les arbres rejoignent l'eau, puis de disparaitre en forêt quelques heures, les nuits où elle ne peut pas dormir. Les bois ont cet avantages sur le dojo - on n'y croise personne.

Un grognement se fait entendre depuis le canapé, et elle se retourne pour voir un Tony en bien mauvais état - les cheveux ébourrifés et les yeux somnolants, il titube légèrement en se levant. Il fait quelques pas vers elle, puis s'étire, avant de se laisser tomber à ses côtés. Ils restent tout deux silencieux un moment, observant le paysage, et se remémorant leurs discussions de la nuit - plus difficilement pour le brun, dont le crâne résonne. C'est cependant lui qui brise le silence, se rappelant qu'il a promis une suite à l'agente.

- Fri, la suite de... la suite la plus proche de la mienne, elle est en état?

-Toujours boss, vous m'avez demandé de la garder prête en permanence depuis sa construction.

Il laisse échapper un soupir. Depuis les événements de Sokovie, il n'a pas perdu espoir que son ami revienne, mais chaque jour effile un peu plus son optimisme.

-J'vais vous installer dans celle là alors. Elle est juste en face de la mienne, donc ça devrais pas poser trop de problème au niveau de la "surveillance".

- C'est moi ou j'entends des guillemets dans votre voix? Essayez pas d'enrober la vérité, c'est littéralement le boulot qu'on m'a confié de vous surveiller.

Il fronce les sourcils, surpris par l'aggressivité soudaine ressentie dans la voix de l'agente, avant de répondre :

- Ah oui? Au fait, on peut savoir ce que vous avez fait pour l'avoir, ce boulot? Parce que ça sonne plutôt comme une punition vu la façon dont vous en parlez.

- Rien qui vous regarde.

Il se relève, énervé et déçu.

- Je suis pas d'humeur pour m'engueuler avec une gamine, vous vous démerderez pour trouver votre chemin. Sur ce, ma salle de bain m'attend.

Elle reste silencieuse alors qu'il s'éloigne. Oui, elle devrais probablement le suivre, faire son boulot correctement. Mais elle emmerde le Shield. Elle emmerde Fury. Elle emmerde sa mère. Elle emmerde le monde entier. Elle emmerde tous ces sentiments à la con, elle emmerde les émotions, elle emmerde l'alcool et même le ciel. Elle emmerde toutes ces choses et causes qui l'on fait parler une fois de trop, qui l'ont ramenée en arrière. Elle respire lourdement alors que les souvenirs prennent le dessus sur ses pensées. Elle revoit les apparts miteux loués par sa mère, les regards des gens sur elle à l'école - elle, l'étrangère, qui parle pas la langue. Elle revoit les plans de banques étalés sur la table, les coups montés les uns après les autres par sa mère. Elle revoit les séances d'entrainement acharnées, les innombrables fois où elle a fini au sol. Elle revoit les bleus sur son corps chaque jour, elle revoit les heures passées à travailler toutes ces langues, chaque gifle reçu pour la moindre faute. Elle revoit tout. Elle revoit son arrivée au Shield, les doutes que les gens ont eu. La manière dont les officiers supérieurs se croient tout permis. Le chaos causé par Hydra, les combats incessants, les meurtres, le sang. Elle revoit sa dernière mission. Elle se revoit perdre le contrôle, laisser exploser sa colère. Elle sait qu'elle est dangereuse, qu'elle ne peut que blesser ceux qui l'entourent, jusqu'à ce qu'ils le soient autant qu'elle. Alors pourquoi, pourquoi Fury l'a punie de cette manière? Quoi, il veut qu'elle brise Iron Man encore plus qu'il ne l'est déjà?

C'est portée par l'incompréhension qu'elle retourne à l'intérieur du bâtiment - évidemment, la porte de la suite du brun est fermée, mais elle entend l'eau couler, et sent sa présence mentalement.

-Friday, tu peux m'indiquer où est la suite que je vais utiliser?

L'IA s'exécute aussitôt - le trajet est rapide, à peine quelques mètres. Devant l'agente se tient une porte assez classique, presque trop pour le bâtiment, en bois. À hauteur d'oeil se trouvent des lettres métalliques, argentées, formant deux mots. Un nom plutôt.

Bruce Banner



The Broken OnesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant