CHAPITRE XIV : MILLE ANS DE PLUS

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Kadvael bondit hors de la maison et s'élança vers le long véhicule noir qui était le sien. Il ouvrit, s'assit brutalement sur la banquette arrière et claqua la portière. Blair apparût sur le siège conducteur sans qu'il n'ait rien à dire.

- Démarre, ordonna-t-il en lui donnant les clefs.

La démone s'exécuta. Elle allait ramener son maître au manoir. Kadvael était hors de lui, plus en rage qu'il n'aurait pu l'imaginer et la brûlure dans sa poitrine demeurait, incisive et puissante. Il n'avait pas rompu le pacte, aussi il jeta un œil à sa main et observa le sigle.

Il ne bougeait pas, semblait le narguer. Demain, il n'y aurait plus rien, le lien allait se couper au moment où Evan allait dormir. Mais seulement demain, parce que Kadvael n'osait pas le rompre de lui même.

- Vous devriez rompre cette merde tout de suite chef, lui lança Blair depuis l'avant du véhicule.

- Ferme-là et conduit.

Comment les choses avaient-elles pu tourner ainsi ? Evan, cet être inférieur et sans valeur, comment avait-il pu se permettre de le rejeter lui ? Comme s'il pouvait se passer du pacte qui les liait, cette bénédiction ! Evan n'était rien sans lui.

- Rien ! siffla Kadvael pour lui même et Blair lui jeta une œillade discrète.

Il n'est rien, continuait de se répéter le démon, il n'est strictement rien, ne vaut strictement rien et crèvera sans n'avoir jamais rien été. La douleur dans sa poitrine s'enfonça brutalement, traîtresse, violente, comme pour lui rappeler qu'il se mentait à lui même. Ce qui participa à rendre Kadvael plus acariâtre encore. Cet humain... Il avait voulu le jeter, se débarrasser de lui en le blessant une dernière fois, en achevant de lui faire sentir son indifférence et son mépris. Et Evan s'en était allé se consoler dans les bras d'une autre, il l'avait remplacé par une humaine plus insipide encore, il avait préféré une humaine à lui ! Lui qui lui offrait la perfection, la beauté, l'argent, les privilèges et le respect de ses semblables. Lui qui l'avait tiré hors de la médiocrité, qui lui avait donné un amour propre ! Cet amour propre même dont il s'était servi pour le repousser.

Quelle ingratitude, songea Kadvael. Oui, c'était ça qui le mettait en colère et ça ne pouvait être que ça. Non, il n'était pas en rage à l'idée de se débarrasser de ce jouet dont il commençait à se lasser, parce qu'il se fichait de lui, en vérité. Son cœur se serra. Je me fiche de lui ! hurla Kadvael en son esprit, comme pour répondre aux douleurs qui lui pinçaient la poitrine. C'était simplement son orgueil qui se plaignait, parce qu'il s'était vu rejeté par une créature de moindre valeur et remplacé par une créature plus misérable encore. Il fallait se calmer maintenant, il devait s'en remettre parce qu'après tout ce n'était rien. Juste un pacte de plus qu'il laissait derrière lui. Oui, ce n'était rien, rien du tout, un pacte de plus qu'il laissait derrière lui. Ce n'était rien, absolument rien, c'était sans importance, il ne reverrait plus jamais cet humain sans valeur et ce n'était rien. Il ne le reverrait plus. Il ne le reverrait plus... Mais Evan lui manquait tellement... !

*

Evan ouvrit les yeux. Le monde lui sembla tourner, il referma les yeux et fronça les sourcils. Ça tournait encore, à l'intérieur de son crâne, ça tournait encore... Il se redressa, mal à l'aise et transpirant, lorsqu'il sentit un poids contre lui. Maya resserra son étreinte autour de lui et gémit un peu dans son sommeil. Evan s'immobilisa instantanément, le corps de la demoiselle était brûlant contre le sien et entièrement nu. Le cœur du jeune homme sembla se figer. Lentement, il leva sa main droite devant lui et observa longuement, cette peau vierge de toute trace de sigle. De toute trace de pacte. Il était définitivement séparé de Kadvael. Débarrassé, s'efforça-t-il de penser mais son cœur se serra. Il chercha en lui, en vain, le soulagement, le sentiment de libération que devait lui procurer ce jour, la délivrance qu'il avait toujours cherché depuis que ce pacte s'était imposé à sa vie, mais ne trouva rien que le vide. Une solitude amer et froide l'envahit tout entier. Peu importait cette jeune femme couché contre lui, il était définitivement seul, livré à lui même, en face à face avec sa conscience. Kadvael avait définitivement déserté son esprit.

Be my slave and I'll be your loverOù les histoires vivent. Découvrez maintenant