Emilia s'était pourtant jurée, presque inconsciemment, de ne pas s'endormir. De ne pas lui laisser la chose facile, de devoir la forcer à descendre de la voiture avec des mots, de la violence pourquoi pas, mais qu'il le fasse. Elle se maudit de l'avoir laissé la porter, et la coucher dans la petite chambre bleue. Elle se promis de ne pas baisser les yeux quand il rentrerait.
Elle n'essaya même pas d'ouvrir la porte, il l'avait enfermée c'était clair. Ou alors, c'était un idiot, mais quelque chose lui disait que ce n'en était pas un. La fenêtre était close elle aussi, et de toute manière trop haute pour espérer en tirer quoi que ce soit, mais les rideaux étaient tirés, et elle pouvait voir les montagnes.
Il n'avait sans doute pas fait exprès, mais il l'avait ramenée chez elle. À la frontière de la Suisse, à l'Est. C'était réconfortant quelque part. Pourquoi est-on toujours attiré par là d'où on vient ? Peut-être pour se rassurer sur le but de sa propre existence, le chemin parcouru et la quantité de distance avec notre point de départ.
Elle entendit la porte grincer, son cœur fit une embardée et elle se rua vers un coin de la pièce, s'éloignant délibérément des deux lits jumeaux. Il ne lui lança pas un regard, déposa le sac en papier kraft sur la table, s'assit et commença à le déballer.
"- Tu dois mourir de faim."
Sa voix était grave, presque rocailleuse, peut-être dû au fait de n'avoir pas prononcé un mot pendant toutes ces heures. Il sortit du pain, du beurre, du jambon et des clémentines, lui fit un gros sandwich et le poussa dans la direction d'Emilia.
Elle ne fit pas un geste.
Accepter sa bouffe reviendrait à se soumettre, à accepter qu'il l'ait emmené à l'autre bout du pays sans même se justifier. Elle se mordit la lèvre, s'arrachant au passage un peu de peau.- Est-ce qu'il est vivant ?
Elle avait dû bien débattre deux minutes entières avant de lâcher sa première question. Sûr et certain, si la question concernait l'identité de son kidnappeur, il n'y aurait pas répondu, ou se serait contenté d'un piètre mensonge.
Il mâcha consciencieusement ce qu'il lui restait dans la bouche, et toujours en évitant son regard, acquiesça.
- Alors pourquoi? À quoi bon ?
Merde. La deuxième question n'était pas recherchée du tout, et ressemblait plutôt à un glapissement. Comment perdre toute crédibilité et coller à l'image de la captive.
- Tu devrais manger quelque chose, dit-il doucement.
Il attrapa deux clémentines, se leva et sortit de la pièce. Elle entendit la clef tourner dans la serrure. Pas de doute, elle était bel et bien enfermée.
Emilia se précipita vers le sandwich et le dévora avec voracité. C'était le premier "repas" qu'elle avalait depuis la veille à la cantine.Wow, la cantine.. le lycée. Elle réalisa que moins de 24h plus tôt, elle était assise en cours, entourée de ses amis, à angoisser comme toujours, mais en sécurité dans sa cambrousse.
Tout ça était la faute de son bon à rien de père. Et Lip? Qui allait s'occuper de son chien? Certainement pas l'autre ivrogne...
Et lui, allait-il prendre le risque d'aller voir la police? Ses magouilles le trahiraient. Peut-être allait-il attendre que quelqu'un s'aperçoive de l'absence d'Emilia Aeby?
Ou peut-être allait-il quitter la région tout simplement..Quel merdier... elle était définitivement seule. Jamais elle n'avait pu compter sur lui, et encore moins sur sa mère qui avait déjà dû oublier son existence. Comme toujours, il fallait qu'elle s'en sorte sans l'aide de personne.
Mais ça devrait être plutôt facile, surtout s'il avait l'intention de la laisser aussi souvent sans surveillance.
Et il n'avait pas vraiment le profil du supergeôlier.Ouais, elle s'en sortirait.
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Fuir
RomanceLa sombre épopée d'Emilia Aeby et de son ravisseur, à travers une France décrite par ses forêts, ses hôtels miteux et ses voyageurs, tous à la recherche d'une identité perdue. Un piège qui se changera peu à peu en une histoire d'amour.