Chapitre 5

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Elle mis encore longtemps avant d'oser esquisser un geste.

Les yeux rivés sur la bosse que constituait Caleb sous le plaid, elle guettait ses respirations, la moindre irrégularité. Mais il était calme, profondément endormi. Au fil des jours, elle avait appris quelques signaux qui le trahissaient pendant son sommeil. Il avait cette manie de siffler juste quand il s'endormait, et de bouger son pied de manière compulsive peu avant son réveil. Les nombreuses insomnies d'Emilia lui seraient peut-être utiles...

Elle se dirigea très lentement vers la porte mais l'ouvrir sans le réveiller semblait improbable. Tout semblait grincer dans cette auberge sinistre. Elle attrapa un bout de papier sur le bureau, chercha des yeux un stylo, un crayon, quelque chose. Mais ne trouva rien de tel.

On toqua de nouveau à la porte, un peu plus fort cette fois. Son cœur fit une embardée, si ça continuait, elle se ferait coincer sûr et certain. Le plus sage serait sans doute de retourner dans son lit et de faire comme si le bruit n'existait pas. Mais elle se le refusa tout net. Le sol de la chambre était un joli parquet ancien, d'un brun clair. Mais définitivement vieux, certains lattes se détachaient imperceptiblement.

D'un geste impulsif, elle s'en saisit d'une lentement, la tira vers elle en essayant d'ignorer de toutes ses forces le très léger craquement et l'examina. L'extrémité gauche était plus fin, et paraissait bien plus coupant. Elle se l'enfonça dans la chair de son bras, très délicatement. Le petit bois perçait sa peau et une goutte de sang finit par perler. Presque soulagée, elle continua d'enfoncer la latte et observa, fascinée, le sang couler jusqu'au poignet.

Elle n'avait même pas mal. Tout à l'euphorie de faire autre chose que de manger, dormir, rouler. Le fait que cela puisse énerver Caleb ne lui venait même plus à l'idée.  Elle plongea un doigt dans le peu de sang qu'elle avait réussit à récupérer et écrivit sur le papier.

Emilia Aeby     Aide      16 jours

Espérant que ce soit assez lisible, elle glissa le papier sous la porte, elle le sentit tiré de l'autre côté. Et attendit, le cœur battant.
Ce devait être le vieil homme, ils n'avaient croisé que lui en entrant à l'auberge, et la façon dont Caleb l'avait poussée l'avait peut être alarmé. S'il n'était pas con, il alerterait immédiatement les flics. Lui renvoyer un message serait plutôt risqué.

Mais elle n'osait pas revenir dans son lit, si elle faisait le moindre bruit, s'il se réveillait, et qu'un autre message glisserait sous la porte au même moment... Il avait quand même fait du mal à son père. Peut-être était-il mort. Et elle n'avait aucune idée de ce qu'il lui voulait, et d'où il comptait l'amener.

Quelque chose grinça. Elle aurait bien été incapable de dire quoi mais ça n'avait aucune importance, le bruit couinait, strident, presque insupportable, ce n'était qu'un son infime mais elle le sentit comme un putain de hurlement.

Naturellement Caleb grogna et se retourna. Elle se figea et regarda son pied qui commençait à s'agiter. En une fraction de secondes, elle fixa la porte. RAS. Et se précipita vers son lit en étant la plus silencieuse possible. Au même instant, il se redressa. L'air ensommeillé, la marque de son oreiller sur sa joue, il la dévisagea, l'air surpris.

Son regard se posa sur ses jambes hors des draps, puis sur la porte, puis sur le parquet. Dans sa précipitation (et sans doute son manque de sommeil), elle avait oublié la latte brisée et le peu de sang qui restait sur le bois. Il poussa un grognement sourd qui la fit sursauter.

L'air plus menaçant que jamais, il sauta hors du lit et posa un doigt sur ses lèvres.
"Si tu fais un seul bruit, ton cher papa ne se remettra jamais de ce que je vais lui faire subir".

La menace retentit aux oreilles d'Emilia. Terrorisée, elle n'esquissa pas un geste et le regarda sortir de la chambre, silencieux comme une ombre.
Combien de temps elle attendit cette nuit-là, aucune foutre idée, mais c'était long.

Il finit par ré-apparaître, extrêmement calme. Il remit en place tant bien que mal la latte cassée, nettoya la pièce de fond en comble, rangea leurs affaires et emporta draps, taies et serviettes, et la poussa hors de la chambre.

Le hall était désert, ils traversèrent l'auberge sans croiser personne. Il l'amena à la voiture, et sans décrocher un mot, la poussa brutalement à l'arrière.
Elle ramena ses jambes sur sa poitrine, s'autorisa à respirer, et pris conscience que Caleb était plus dangereux qu'elle ne l'avait imaginé.

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