Chapitre 4

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Ils restèrent dans la chambre bleue deux jours. Emilia avait laissé sa montre sur la table du salon de la maison, ce qui était très contrariant. Jamais elle n'aurait pensé que ce serait aussi frustrant de n'avoir aucun repère temporel. Mais les rideaux restaient ouverts, et elle avait une vague notion du temps grâce au soleil.

Il n'avaient pratiquement pas échangé un seul mot depuis ses questions gênantes à son réveil, le premier jour de leur exil. Elle savait juste qu'il s'appelait Caleb. Mais elle n'avait toujours aucune idée des raisons qui l'avaient poussé à faire ça. Ni de son complice qui l'avait assommée. Ni de ce qu'avait fait Patrick. Ni de leur destination. Ni rien en fait. Elle ne savait strictement rien de la situation.

Elle aurait sans doute dû être hystérique, morte d'angoisse, en violentes crises d'anxiété ou même suicidaire pourquoi pas. Mais Emilia ne s'était toujours pas débarrassée de ce sentiment d'être une coquille vide. Peut-être lui avait-il fait avaler des cachets ou injecté quelque saloperie avec une seringue pendant son sommeil. Ou était-ce un mécanisme de défense ?

En tout cas, ce n'était pas si mal. Quoi que ce fut, cela calmait ses paniques, et lui permettait de réfléchir plus posément. Les jours défilaient à une vitesse folle. Ils étaient à présent partis de son "chez elle" d'origine et continuaient leur route vers on ne sait où. Caleb refusait de dire un mot à ce sujet.

Leur mutisme était devenu presque réglementé. Comme un jeu où chaque joueur participe à la charte, et sans avoir besoin de le verbaliser, sait quand il fait une erreur aux yeux de son adversaire.
Lorsque Emilia posait des questions sur leur destination, son père, Caleb, son complice où tout ce qui touchait au pourquoi de tout ce bordel, Il sortait de la pièce, et elle savait d'emblée qu'il ne dirait plus un mot avant plusieurs heures.
Lorsque Caleb semblait s'intéresser de près ou de loin à Emilia, la forçait à manger, la touchait ou haussait le ton, Elle se renfermait sur elle-même et il savait qu'elle ne se décrisperait pas, ne se nourrirait pas et ne dormirait pas avant le lendemain, voire plus.

Ils avaient donc convenu (sans expliciter le contrat à voix haute, ni discuté des modalités) de limites à ne pas franchir.
Elle s'asseyait devant à présent durant les trajets. Désireuse de gagner sa confiance, elle avait pris cette initiative six jours après la chambre bleue, s'était installée sans mot dire, et avait savouré son étonnement en ne laissant rien paraître.

Le seizième jour, il pleuvait des cordes. Ils roulaient sur un chemin escarpé, et il devenait de plus en plus dangereux de rouler. La nuit était tombée, sur le point de fondre sur eux et d'éteindre les phares.
Caleb s'arrêta au premier panneau à peu près lisible, et la poussa à l'intérieur de l'auberge.

La pièce était étroite et suffocante, tous deux trempés jusqu'aux os, se dirigèrent vers le minuscule point d'accueil. Un homme petit et maigre aux cheveux blancs les dirigea maladroitement vers une chambre aux lits jumeaux. Comme à chaque fois, milles idées vinrent assaillir la tête d'Emilia pour se sortir de ce pétrin et retrouver Patrick, mais comme à chaque fois, aucun mot ne franchit ses lèvres. Elle sentait la pression brute d'une main de Caleb sur son dos, et estima que ce n'était pas le bon moment. Pas encore.

Tout était plus petit que d'habitude. C'était plus difficile de maintenir une distance et Emilia resta le plus longtemps possible sous la douche, respirant cette intimité qu'elle n'avait que rarement le droit de goûter. L'eau était heureusement brûlante, elle ferma les yeux et adora la légère sensation de brûlure sur ses seins, son dos et ses orteils. Mais il ne tarda pas à frapper sèchement à la porte, elle fut contrainte de sortir.

Ils partagèrent un maigre repas, il n'avait pas pris le temps de s'arrêter à la dernière épicerie sur la route, pensant rouler plus longtemps. La télévision ne fonctionnait pas bien entendu, ils mangèrent donc en silence.

Caleb s'endormit plus vite que d'ordinaire. Elle se leva sans faire de bruit et se colla devant la fenêtre, contre le radiateur. Cela faisait presque plus de deux semaines qu'il l'avait enlevée, et elle n'avait toujours pas de nouvelles de Patrick, ni de qui que ce soit. Il lui avait teint les cheveux en roux foncé, les avait coupé au carré et déniché un long manteau chiné dans une fripe. Lui-même n'avait pas pris la peine de se déguiser, il avait dû attaquer Patrick par derrière pour que celui-ci n'enregistre pas ses traits, ou alors il l'avait directement tué.
Perdue dans ses sombres pensées, elle ne perçut pas immédiatement le bruit. Mais, après avoir écouté attentivement pendant une minute entière, elle fut forcée d'admettre que quelqu'un toquait très doucement à la porte.

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