"Emilia..."
Sa voix était douce, grave, rassurante. Ses gestes lents et précautionneux, comme s'il craignait de la briser en deux. Elle sentait ses caresses sur ses bras fins et nus. Il la regardait avec un plaisir indescriptible, comme si l'avoir près de lui suffisait à son bonheur. Puis des baisers, le long de ses joues, son cou, ses épaules, puis son ventre et ses cuisses. Ces derniers la gênait un peu. Mais après tout, c'était quand même agréable.Se réveiller ici, c'était comme émerger d'une de ces torpeurs après une cuite. Les membres engourdis, les lèvres si sèches qu'elles en étaient craquelées, le ventre maussade et l'humeur sombre. Elle soupçonnait Caleb de lui avoir encore filé des calmants ou autre chose du genre. Peut-être de la morphine.
Il ne lui avait toujours pas pardonné, et lèvres hermétiquement closes, se contentait de cconduire. Ils ne s'étaient pas arrêtés depuis un bout de temps déjà. Depuis cette minuscule station service sans âme qui vive, où il l'avait forcée à se laver.
Elle avait été surprise de baisser les yeux et de voir tout ce sang séché, elle l'avait oublié. Ce sang, cette sueur collante, avait prit aussitôt conscience de cette masse emmêlée, aux mèches grasses qui poussait de son crâne. Le dégoût s'ajouta à la peur.
Caleb la poussa alors sans ménagement dans les WC à l'odeur nauséabonde, et resta dehors, derrière la porte tout au long du supplice. L'eau glacée ricochait sur ses bras mutilés, chacune de gouttes glissant sur la peau entaillée, certaines allant même jusqu'à pénétrer dans les fentes microscopiques qu'avait gentiment laissé la latte du parquet.
Caleb lui avait apporté du savon et du shampoing, et cette fois lui laissa tout le temps qu'elle voulait.Les senteurs de canneberge vinrent à la charge et chassèrent celles de pisse et de transpi. Emilia vidait les flacons sur son corps maigre, évitant de se toucher, tout ça l'écœurait.
Enfin propre, ses cheveux avaient retrouvé leur vigueur, ses ongles n'étaient plus ni rouges ni noirs. Il lui donna des habits qu'il avait déniché, un pantalon noir épais, une petite chemise bleue et des grosses chaussettes. Elle remarqua à peine qu'il prenait soin de ne pas la regarder nue, se contentant de presque lui jeter les fringues par-dessus sa tête, et très vite de se réfugier à la voiture.
Ses fantasmes de courir à nouveau, de s'enfuir, de retrouver son père et Lip. Ces rêves, ils s'étaient évanouis. Plus rien ne lui importait sinon, de dormir. Cette nuit-là, ils s'arrêtèrent dans une forêt. Le temps était bon, presque tiède.
Caleb installa une couverture sur le sol mousseux et lui demanda de s'assoir, il partit dans le coffre et revint avec de l'eau et à manger.
Un feu crépita bientôt, mais elle n'arrivait plus à savourer l'effet que lui procurait les flammes avant. Avant toute cette merde."- Ton père, il est vivant."
Il avait lâché ça dans un murmure, presque imperceptible, presque pour lui-même.
Elle ne se détourna pas du feu. Ne lâcha pas un bruit."- On m'a envoyé chez vous pour lui régler son compte, mais surtout pour toi. Pour venir te chercher."
Elle ne demanda pas qui ni pourquoi. Après tout, quelle importance ?
"- On ne lui a pas fait trop de mal, simplement pour l'assommer. L'autre abruti qui t'a frappé est resté pour lui expliquer, pour pas qu'il appelle les flics et complique les choses. Il n'était pas sensé te frapper, je suis désolé pour ça."
Emilia sentit alors toute son angoisse, toute sa haine monter en elle, elle sentit ses peurs de ces dernières semaines et de toute sa vie finalement, bouillir dans son corps.
"- Pour ça." Chuchota-t-elle avec un ricanement hystérique.
Et l'explosion.
" - Tu sais quoi? Tu devrais plutôt t'excuser pour m'avoir traînée jusque ici comme un putain de bagage, pour ne pas m'avoir lâchée un seul putain de mot pendant des jours, pour ne pas avoir voulu me lâcher un seul mot sur mon père pendant tout ce temps, me laissant penser qu'il était mort... "
Sa voix se brisa.
"- Je sais, je ...
- NON TU NE SAIS RIEN DU TOUT, T'AS AUCUNE IDÉE DE TOUT CE QUI M'EST PASSÉ PAR LA TÊTE, PUTAIN MAIS T'ES QUI POUR FAIRE ÇA, QUI T'A ENVOYÉ? QU'EST-CE QUE J'AI BIEN PU FAIRE MERDE "
Elle avait mis un temps avant de s'apercevoir qu'elle criait, sa voix était enrouée et si aigüe. Avait-elle toujours été comme ça?
Il pris un air malheureux." - Je ne peux rien te dire, si je le pouvais je le ferai."
Elle lui lança un regard noir et s'enferma à nouveau dans le silence. Il l'imita et après avoir grignoté, s'installa sur l'autre bout du plaid et s'adossa contre la voiture.
Alors comme ça, son père était vivant. Et quelqu'un avait envoyé des connards pour venir la chercher et l'amener... mais où? Et pourquoi?Elle s'endormit très tard, cette nuit-là, avec cette impression d'un poids sorti de sa poitrine, et en même temps un sentiment de profonde tristesse, quand elle comprit que son père avait sans doute écouté l'autre abruti, et ne viendrait probablement jamais la ramener à la maison.
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Fuir
RomanceLa sombre épopée d'Emilia Aeby et de son ravisseur, à travers une France décrite par ses forêts, ses hôtels miteux et ses voyageurs, tous à la recherche d'une identité perdue. Un piège qui se changera peu à peu en une histoire d'amour.