Le Temps d'2 Calcul - Partie 2

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- Étienne? Étienne!


Je dois m'interrompre un instant. Une fille de ma classe s'est détachée de la vague d'élèves pour s'approcher de moi. Elle tient son sac d'une main, ses cheveux de l'autre.

- Mmh?

- Tu sais me filer ta calculette pour l'interro de physique? Toi t'en a rien à faire des cours, tu penses toujours à autre chose depuis pas longtemps.

Désolé cocotte mais je la garde.

- Euh... je l'ai pas sur moi, donc...

Arrête de rougir. Arrê-te.

- Pff, d'accord. À plus.

À plus !

- Mmh...


Elle gâche mes plans, elle. Je dois me concentrer sur mon histoire, pas sur celle des autres. C'est une nouvelle. En tout cas je ne l'ai jamais vue. C'est bizarre ce que je ressens quand je la vois. Elle ne m'intéresse pas, pourtant j'ai l'impression, je ne sais pas. Je ne la connais que depuis cinq jours, peut-être plus...

Et puis je dois absolument garder ma calculatrice. Comme on dit, je dois finir ce que j'ai commencé.

Une fois chez moi, j'avais grimpé les marches quatre à quatre pour m'enfermer dans ma chambre. En un mouvement, j'avais fais glisser mon nouveau sac à dos sur le sol, me délivrant aisément des bretelles.

Je ne sais pas si c'était l'excitation d'avoir enfin le nécessaire pour repartir à zéro - et cela m'étonnerait fortement, pour des maths, autant de motivation d'un seul coup, sérieusement ? - ou bien quelqu'autre explication. Mais j'étais poussé par une certaine adrénaline. Je me voyais déjà premier de classe, rangeant dans mon nouveau classeur ma copie signée de l'une des meilleures notes, jetant discrètement un regard oblique vers celle de mon voisin de banc, la dernière du tas, celle que le professeur aurait plié en deux pour retenir les autres.

En tout cas, une certaine force m'avait attiré sur mon bureau, et j'avais commencé les exercices. Je n'avais pas touché à mon Nokia éteint glissé dans la poche de mon jeans depuis le matin, c'est pour vous dire.

Au delà de la petite fenêtre de ma chambre, le soleil s'était lentement décliné, arrosant le ravier de bonbons sur le rebord d'une teinte de plus en plus orangée.

J'avais tiré un paquet de biscuits du tiroir de droite de mon bureau, et l'avais entamé. Je sais que j'étais déjà motivé à travailler, mais on ne change pas les bonnes habitudes.

Un calcul. Pas trop compliqué ; une histoire de racine carrée mélangeant chiffres et lettres. Ma réponse finale donnait un chiffre rond. Vingt, tout pile.

J'avais retourné mon bureau pour trouver le correctif. Et dehors, le soir était tombé.

La feuille s'était en fait glissée entre mon bureau calé contre la cheminée et celle-ci. Je m'étais recroquevillé sur moi-même pour passer ma tête et mes bras à mes jambes, et mon poids avait expulsé vers l'arrière ma chaise à roulettes. J'étais tombé sur moi-même, m'étais cogné la tête - PUT... rée avais-je étouffé entre les dents - et j'avais finalement attrapé ce correctif de mathématiques.

C'était le soir, et il était tard. Je voulais savoir si ma réponse était la bonne. 20.

Et là, vous devez m'imaginer, dans ma chambre d'adolescent, me tirant de sous mon bureau, un correctif chiffonné à la main.

J'ai vu ce que vous allez voir, de la même façon, sans m'y attendre.

D'abord la pièce m'a parue plus étroite. Et une impression claustrophobe m'a traversée.

Ensuite, les feuilles éparpillées sur mon bureau n'y étaient plus. Le paquet de biscuits non plus. Je parus halluciner à ce moment-là. Puis la lampe m'aveugla lorsque je tournai la tête vers la fenêtre. Ce n'était pas la lampe, mais un rayon du soleil.

En pleine nuit.

Mais dehors, il ne faisait pas nuit.

J'aperçus à travers la vitre le cerisier de mon enfance. Puis plus loin, la route sur laquelle ma mère s'était enfuie, il y a si longtemps. Et bien l'arbre avait grandi, son tronc s'était élargi. Et la route sinueuse paraissait cabossée, plus qu'avant.

Je tournai la tête, immobile, presque sans y croire.

Sur le rebord de la fenêtre, une corbeille de fruits remplaçait le ravier de bonbons.

En plein centre du bureau, la calculatrice était allongée, affichant toujours le même chiffre sur ses paupières : 20.

Mon regard glissait sur les meubles, plusieurs fois, et je fis quelques tours sur moi-même avant de faire le pas. Le pas dans cet incident.

Le Temps d'un CalculOù les histoires vivent. Découvrez maintenant