Le Temps d'un Calcul - Partie 1

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- Étienne? Étienne?!


De l'autre côté de la cour, assis sur un banc, un adolescent de seize ans et cinq jours attend avec lassitude la sonnerie annonçant le début des cours. Son nouveau sac à dos est coincé entre ses jambes, ses bras sont croisés sur le torse.

Il attend, il ne sait pas trop quoi. Il hésite, et il sait pertinemment pourquoi.

Des vagues d'élèves affluent devant lui sans discontinuer. Le temps aussi défile, inlassablement.

Cela va faire une semaine qu'il attend, qu'il hésite, planté sur ce banc froid et humide. Les nuages filent, le vent souffle, la terre tourne, toujours. Il est plutôt grand, plutôt jeune, et, avant, il était expressif, vivant, enthousiaste. Et ignorant.

Mais désormais ce garçon est las, il hésite. Il doit mesurer l'ampleur des risques encourus. Cela va faire une semaine qu'il a seize ans. Plutôt jeune pour mourir...

Ce gars, voyez-vous, c'est moi.

Et je vais vous raconter comment j'en suis arrivé là.

Je vous raconterai comment j'en suis arrivé à moisir une semaine sur un banc avec une question de vie ou de mort en tête. Vous saurez tout. Tout ce que j'ignorais jusqu'à il y a cinq jours.

Pendant ce temps qui s'est écoulé sur ce banc froid, j'ai beaucoup repensé à mon enfance. C'est idiot, vu les circonstances, mais s'il y avait une période que je pourrais revivre, ce serait incontestement celle-là. Je veux dire, la revivre sans soucis. La revivre avec mon ignorance. Ne pas connaître ce secret enterré bien loin.

Les peu de souvenirs qu'il me reste sont confus. Ceux d'avant la séparation de mes parents, et le départ de ma mère.

Par contre, une très nette image de mes parents me revient souvent à l'esprit lorsque tout va mal. Ils y sont représentés face à face, en train de se prendre la tête rageusement. Ma mère pleurait. Elle est partie en claquant la porte, sans jamais revenir. Ni pour mon père, ni pour moi.

J'avais foncé jusque dans ma chambre, la tête et les larmes entre les mains. Il me fallait du calme. J'avais regardé au delà de la fenêtre, d'un oeil triste et innocent, debout sur un tabouret pour à peine atteindre du bout du nez le rebord de cette fenêtre. De là, la vue d'un jeune cerisier m'apparaissait.

Et il m'apparait toujours, lorsque je me place devant la fenêtre, un peu courbé vu mes longues jambes. Mais il a poussé, il s'est développé, et a donné des fruits. Chaque année je regardais son avancement, la manière dont il déployait ses branches au fil du temps. Et j'allais cueillir les cerises, regardant la route d'un air mélancolique.

Le souvenir me revenait alors. Et l'image de la voiture de ma mère, au loin, qui s'en allait avec fureur sur l'asphalte sinueux, sans retour possible. Cette image, je ne l'ai jamais oubliée.

J'étais un jeune enfant. Mon père avait su m'apprendre à sécher les larmes qui tachaient mes joues rebondies. Il m'avait élevé, seul, depuis mes six ans, m'avait apprit la vie, qui s'était déroulée à son aise sans tenir compte de ce souvenir déchirant. Ce dernier a persisté, malgré cette enfance que mon père a tenté tant bien que mal de rendre heureuse, et ce vide maternel qu'il s'est démené pour combler.

Il m'a un jour raconté. Elle est partie à cause d'un autre homme qu'elle avait rencontré. Plus jeune, ou plus âgé qu'elle, peu importe. Elle avait dit les deux. Elle avait crié. Pleuré. Elle était partie. Je l'ai alors détestée pour son égoïsme.

Et j'ai finalement eu seize ans, il y a cinq jour. Mais l'histoire n'a pas vraiment commencé le jour de mon anniversaire. Ce jour-là, je me suis seulement rendu compte que quelque chose s'était déclenché. Quelque chose d'irréparable.

Le Temps d'un CalculOù les histoires vivent. Découvrez maintenant