Je me retrouvais à nouveau dans ma chambre, le ravier de bonbons était sur le rebord de la fenêtre. Mais, même sur la pointe des pieds, j'étais trop petit pour l'attraper. Dans le miroir, je me voyais, avec mon vieux pull rouge. J'avais 5 ans.
En bas, des éclats de voix faisaient vibrer les murs.
Je caressai ma joue de mes doigts fins, et la sentit toute douce.
Il y a quelques secondes, j'avais 42 ans. Enfin, il y a quelques années. Dans quelques années. C'était déroutant.
Derrière la fenêtre, il y avait le cerisier, et, plus loin, la route sinueuse. Je savais ce qui allait se passer. En bas, les voix se criaient dessus.
Je sortis de ma chambre, prenant soin de fermer la porte en silence, et m'approchai du palier d'un pas furtif, toujours tiré par cette force incontrôlable.
La scène se jouait sous mes yeux, celle que j'avais vécue bien des années auparavant, lorsque le contact entre mes parents ne tenait plus qu'à un fil.
Ils se prenaient rageusement la tête, comme dans mes souvenirs. Ma mère pleurait. Et moi, j'étais là, petit enfant, en bas des escaliers, à les regarder, interdit.
Je vis le petit enfant que j'étais bondir dans l'escalier, en direction de ma chambre.
Alors je me retirai précipitamment dans le couloir, pour ne pas qu'il me voie. Pour ne pas que je me voie.
En bas, la porte claqua violemment. Je n'entendais plus ma mère pleurer. Elle était sortie.
Sur le palier, la porte de ma chambre claqua à son tour. C'était moi, le petit enfant, qui s'y enfermait en pleurant. Dans moins d'une minute, ce petit enfant tirerait un tabouret devant la fenêtre pour observer la voiture de sa mère filer sur la route.
La force me poussa à dévaler les marches de l'escalier, évitant de croiser mon père dans la cuisine, et à sortir hors de la maison.
Elle était là, s'engouffrant dans sa voiture. Je me ruai sur elle. Je pleurais. J'étais passé de 15 à 20 ans, puis de 20 à 42, pour enfin atterrir dans l'année de mes 5 ans. Et je voyais ma mère, alors que j'avais oublié les traits de son visage. Ceux-ci me frappèrent. Je ne pus retenir mon émotion.
- Maman!
- Étienne ? Étienne ! Rentre à la maison.
- Où tu vas! Criai-je entre les larmes, attendant une réponse.
- Écoute... je suis désolée mon Loulou... mais...
Elle était réellement bouleversée.
- Maman !
Elle se tu. Je crois que le ton de ma voix l'effrayait.
- J'ai rencontré un autre monsieur que papa. Alain. C'est... enfin... tu le lui dira à ma place. Alain, d'accord Loulou? Sois fort, je...
- Tu vas plus jamais venir à la maison, je sais maman.
Et elle s'engouffra dans la voiture sans plus attendre pour ne pas se remettre à pleurer devant moi, et démarra en trombe sur la route sinueuse.
Sur la façade de la maison, de l'autre côté de la fenêtre, j'imaginais ce petit garçon, tendu sur un tabouret pour apercevoir une image qui ne le quitterait jamais. Celle de sa mère qui l'a quitté à jamais, et à qui il avait fait un dernier adieu sans jamais l'avoir su.
Mes petits poing se serrèrent de colère, et je me rendis compte que j'avais laissé la calculatrice dans ma chambre. Dans sa chambre. Car je suppose que je ne devais pas le croiser, si je ne voulais pas modifier ma vie.
Quelle vie? Celle d'un ado de 15 piges, d'un père de 42 balais, où d'un enfant de 5 bougies? J'étais perdu.
Je rentrai en vitesse avec un seul objectif en tête : la calculatrice. Rentrer chez moi. Sortir du cauchemar. Car ce n'était pas qu'un incident se passant ailleurs ; c'était un cauchemar à dormir debout.
Je claquai la porte d'un geste brusque, limité par la force de mes fins bras. Je me dépêchais d'atteindre les escaliers, puis ma chambre, n'ayant aucune idée de la façon dont je détournerait l'attention du petit garçon que j'étais à mes cinq ans.
Il ne me laissa pas le temps d'y réfléchir.
- Je croyais t'avoir entendu filer dans ta chambre, me dit brusquement mon père alors que je me figeai, la main tendue vers la rampe d'escalier.
Je lui souris timidement.
- Écoutes, tu dois savoir que maman et moi on ne s'aime plus. Enfin, surtout elle.
Et puis son regard se perdit dans le vide. Il porta une main à son front pour le plisser et murmura comme à lui-même:
- Elle ne m'a même pas dit si je le connaissais...
Alain. J'aurais dû crier Alain, mais j'avais trop peur de faire basculer ma vie déjà écrite.
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Le Temps d'un Calcul
FantasyNouvelle Fantastique. Si vous passez la porte battante de cette vieille échoppe, vous êtes finis. Les calculs auront raison de vous, que vous preniez le temps d'y réfléchir ou non. Un conseil? Arrêtez -vous ici. Mais vous ne saurez alors jamais qui...