Une plume pour écrire...

L'histoire

Vous vous souvenez de ce moment où vous gambadiez jusqu'à votre lit pour vous y couchez confortablement? Vous souvenez-vous lorsque votre mère vous rejoignait avec ce petit sourire plein de promesses dans votre chambre? Vous saviez, en voyant le livre qu'elle tenait en main, que cette soirée là encore, elle se préparait à vous racontez pour la millième fois votre histoire favorite? Qu'elle allait, une fois de plus, s'asseoir juste à côté de vous, tandis que vos yeux trahissaient votre impatience? Que cette femme qui vous servait d'exemple ouvrait délicatement le bouquin et se mettait à raconter d'une voix enchanteresse chaque mot que vous connaissiez déjà par coeur? Vous souvenez-vous de cet instant magique qui ne durait que quelques minutes avant que la fatigue ne vous réclame?... Moi oui. Je me rappelle de tout ça. Chaque fois que je vais me coucher, je me revois sauter joyeusement sur mon matelas avant que ma mère ne vienne en riant pour me lire mon récit. Chaque fois que j'éteins la lumière, je la vois quitter ma chambre en s'assurant que je dorme à point fermé. Je laisse toujours ma porte entre ouverte, car je sais qu'elle ne la fermait jamais entièrement. Je range mon désordre avant 9h du soir parce que sinon, elle me grondait en me répétant que je n'aurais pas d'histoire. Je ne sors pas après 22h et je rentre avant cette heure ou sinon, je pouvais dire adieu à mon moment magique.

Mes amis me reprochent souvent de ne pas leur tenir compagnie en soirée. Mes collègues au bureau me harcèlent pour que je fasse des heures supplémentaires, même après 22h. Je ne cesse de leur répéter que si je ne rentre pas avant mon couvre-feu, maman ne me lira pas mon histoire. Je ne comprend pas pourquoi ils me regardent étrangement à chaque fois. Quand je leur demande ce qui ne va pas, ils s'obstinent à me dire que ça va, que ce n'est rien. C'est généralement ce qu'un parent dit à son enfant quand il lui pardonne une bêtise. Je me demande toujours qu'elle bêtise je fais dans ces moments là. Ça me fait un peu peur parce que je crains qu'on raconte à ma maman cette bêtise qui m'est inconnue et que, pour ça, je sois privé de mon histoire.

Le matin, maman vient me réveiller avec la douce lumière qui se filtre un chemin au travers des rideaux. Je ne riposte jamais à ses ordres, surtout lorsque je sais que la moindre erreur me privera de mon petit bonheur quotidien. Je me lève donc sans broncher et me prépare avec le sourire. Elle aimait me voir sourire. Quand je quitte ma demeure, j'ai un petit pincement au coeur. Je sais que je ne la verrai que lorsque je reviendrai, avant 22h. Je prend le bus pour me rendre au travail comme lorsque j'allais à l'école primaire, autrefois. Au bureau, la secrétaire m'adresse un bien étrange sourire. Elle me fixe toujours avec ses yeux insistants en attendant quelque chose. Je ne suis pas certain de comprendre ce que de la signifie, alors je ne dis rien, exactement comme ma maman me le conseillait. Lorsqu'elle voit que son charme ne marche pas, elle soupire et me tend un dossier. Je la remercie amicalement et me dirige à mon cabinet, tout heureux.

À la pause déjeuner, je vois mes amis qui prétextent constamment une raison pour venir me voir à mon travail. Si maman les voyait faire, elle leur ferait la morale en disant qu'il ne faut pas déranger ses amis en pleine révision, surtout le midi, avant un examen important.

Les Samedi, je nettoie la maison pour qu'elle soit toute propre et je m'autorise un biscuit pour me récompenser. Maman le savait, mais elle ne disait rien. Peut-être croyait-elle que je méritais aussi cette récompense. Le Dimanche, je peux sortir de la maison et aller jouer avec les copains. Je ne peux pas boire car elle me l'a interdit. Fumer aussi.

□■□■□■□■□■□■□

- Franchement, je ne te comprend pas! Pourquoi tu ne viens pas? Carole veut vraiment que tu assistes à sa fête d'anniversaire ce soir!

- Je t'ai déjà dis que je ne peux pas être dehors à partir de 22h, Dave! En plus, le patron veut que je finisse le dossier sur la famille Tremblay avant demain!

- Mais tu peux le finir plus tard!

- Non! Non, je ne peux pas! Je veux mon histoire, moi!

- Tu sais, tu nous dis toujours que tu veux cette foutue histoire, mais il n'y a personne chez toi!

- Ma mère!

- Ta mère est..!

- Assez!! C'est non, Dave! Je n'irai pas. Point final.

□■□■□■□■□■□■□

Elle n'est pas...! Non... E-Elle est à la maison et elle m'attend. Oui, c'est ça. Personne ne me dira le contraire. Je sais qu'elle est là, je la vois tous les jours! Les autres sont juste ignorants. Ils ne comprennent pas. Oui, c'est ça. Ne t'inquiète pas maman, je suis avec toi. Personne ne me pliera à ce mensonge. Personne...

□■□■□■□■□■□■□

- Bonjour monsieur Reeves!

- Ah! Bonjour... Vous!

- Voilà le dossier sur les Tremblay!

- Parfait, merci.

- Au plaisir de vous revoir, monsieur!

- Oui, oui.

□■□■□■□■□■□■□

Je me dépèche car je vais être en retard. Je cours le plus vite que je peux et je finis par atteindre ma maison. J'entre en trombe, me hâte à monter dans ma chambre, me déshabiller, mettre mon pyjama tout bleu avec des canards bien jaunes et me met sous la grosse couverture. J'attend, les yeux pétillants. Je bouge les pieds comme un enfant tout excité et, après un moment, je me rend compte que maman ne vient pas. Je commence à angoisser et cherche le problème. Je me tourne prestement vers mon cadran et, une larme coule.

Il est 22h13... Maman ne me lira pas mon histoire, aujourd'hui...