Le dernier Samedi

86 37 16
                                    

10h15. Devant sa maison. Je sonne. Natacha m'ouvre, me sourit, me laisse entrer.

-Tu viens le revoir?

Son ton ne se veut pas mauvais mais elle semble étonné que je revienne par rapport à hier.

-Je...

Je ne sais même pas pourquoi je suis là.

-Ecoute Aline. Va le voir. Je ne t'interdis pas de le voir pour le plaisir mais pour votre bien à tous les deux. Maintenant, si tu veux retenter, vas-y et fais toi ton propre jugement. Tu verras par toi-même que c'est la meilleure solution.

Je baisse les yeux sur les trois fleurs que j'ai apporté. J'ai un faible sourire et malgré les larmes dans mes yeux, je relève la tête et prends l'escalier.

Quand je toque à la porte de sa chambre, sa voix me répond. Sa voix. Celle d'avant. Enjouée, heureuse, chaude.

-Ouais!? Qui c'est!?

Je pousse la porte et pour une fois, il fait jour. Dans sa chambre je veux dire. Le soleil inonde la pièce et laisse entrevoir les particules de poussière qui flottent dans les rayons du soleil. Aloys est assis dans son lit, oreiller derrière le dos, plaid sur les jambes.

Aprés avoir entendu sa voix qui traduisait de son bonheur apparent, j'avais le mince espoir qu'il soit content de me voir. Échec. Une fois qu'il m'a vu, son visage se fragmente en pièces de peur et de haine semble-t-il.

-Qu'est-ce que tu fais là? il marmonne.

Je note distraitement que ses doigts se sont crispés sur la couverture grise.

Je m'avance et prends mon courage à deux mains.

-Aloys...je crois pas que ne plus me voir soit la meilleure idée du monde. Je suis peut-être une des seules personnes qui puissent t'aider à te souvenir et...

-Aline, il me coupe. Si c'est pour venir me dire ça, tu peux dégager maintenant. Ecoute, je m'en fous de ce qu'il s'est passé entre nous. Je m'en fous parce que je ne me rappelle de rien. Et...

-...et justement, je le coupe à mon tour, peut-être que grâce à moi, tu pourrais te re-souvenir de tout! De, de, de, de tes sentiments, de nos souvenirs, de la fois où on est allés à Berlin ensemble, de quand...

-Aline...

-...quand on a fait du vélo à Amsterdam à 00h00 pour fêter le nouvel an, de quand tu m'as emmené faire un pique-nique à Montmartre pour mes 16 ans, de...

-Aline!

Je m'obstine à essayer de ne pas l'entendre.

-...de la première fois qu'on s'est embrassés au concert de Tame Impala, de quand tu t'es baigné dans la neige, l'an dernier, au ski, de....

-ALINE, ARRÊTE!

Et je me tais parce que moi-même je n'arrive pas à continuer, parce que nos souvenirs m'étrangle, parce que mes larmes noient Aloys derrière cette vitre floue, parce que tout.

-Arrête Aline. Je ne sais pas de quoi tu parles. J'ai pas vécu tout ça d'accord? Et ça me fait encore plus peur de me dire qu'autour de moi, les gens en savent plus sur moi que je n'en sais. Ca me fait peur tu comprends? J'ai l'impression d'être taré, je déteste ce sentiment et crois-moi, moins je verrais de personnes que j'ai côtoyé, mieux ce sera. Et je préfère recommencer tout à zéro. Avec des gens qui ne m'ont jamais vu.

Je garde le silenc, je sens mes jambes trembler.

-J'ai demandé à papa et maman de me faire redoubler en internat, il reprend plus calmement. À quelques heures d'ici. Ce sera cool.

Je le hais encore plus. Pour ce qu'il me dit. Pour ce qu'il est. Pour ce qu'il est devenu. Et je l'aime d'un amour pathétique et désespérant. Et je le hais parce que je ne peux rien répondre à ça, que je ne peux pas prétendre à savoir ce qui est mieux pour lui parce que je n'ai jamais vécu ce qu'il vit en ce moment. Et que plus rien ne sera jamais pareil.

Je m'avance encore et pose mes trois Violettes sur sa table de chevet en tentant de ne pas me baisser vers lui pour le serrer contre moi.

Je le regarde une dernière fois.

-Je t'aime Aloys. N'oublie jamais ça.

Il a un faible sourire qui termine d'achever mon coeur en lambeaux et puis je pars.

Aline [terminée☆]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant