Yeux peureux, mon regard amoureux.

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De la peur.

Il a peur. Aloys a peur. 

-De la peur? je lui demande.

Il fronce les sourcils.

-Dans tes yeux, je précise. Tu as peur?

Pendant un moment si long que je crois qu'il ne va pas répondre, il ne dit rien. Il me fixe. Puis ses yeux deviennent humides, une larme roule et il ouvre la bouche sans pour autant prononcer un mot. Il hoche lentement la tête. Prends une grande inspiration.

-Oui, il souffle. Oui. J'ai peur. De moi. Je ne sais pas qui je suis, je ne me rappelle rien, ni de mon enfance, ni de mes parents, ni de ma maison, ni de toi, de mes amis. Rien. Je sais rien. Je sais pas ve qui m'est arrivé, je ne sais pas ce que j'aime ou déteste, je...

Son souffle devient saccadé, des larmes dévalent ses joues creuses, en silence, ses mains tremblent, il arrive à peine à articuler.

-...je sais pas qui je suis. Je n'ai aucun souvenir pour me rattacher à quelque chose, j'ai l'impression d'être complètement débile de voir que tout le monde, autour de moi, sait qui je suis. Les gens me connaissent mieux que moi-même. Je...

Ses mains se crispent sur sa couverture et il me fixe. J'ai rarement vu autant de désespoir dans les yeux de quelqu'un. Et encore moins dans ceux d'Aloys. Il semble avoir du mal à respirer.

-Al', ça va. Respire, je murmure en prenant sa main droite.

Il la retire aussitôt comme si ce contact l'avait brûlé et contrairement à la fois ou je l'avais embrassé et qu'il m'avait respoussé, il a cette fois, un air coupable qui déforme son visage.

-Aline, je...

Au lieu d'être vexée, j'esquisse un sourire las.

-T'inquiète pas...

Mon coeur me fait mal. On dirait qu'un marteau piqueur le perce chaque fois qu'Al me regarde, puis que des scies le coupe en tronçons.

-Al...Aline, je, il bredouille. Mê, même toi je...je sais pas qui tu es. Je me souviens pas de qui on était, de ce qu'on a fait ensemble.

Il ne se souvient pas qu'on était tellement complices et fusionnels que les gens jalousaient gentiment notre relation. Il ne se souvient pas du lien si fort qui nous unissait qu'on avait finit par se croire immortels ensemble.

-Pardon Aline...je, je, je, on, on, on se connaît pas. Je sais que je ne t'ai jamais vu et, et, et...

Mon coeur passe sous un rouleau compresseur.

-Aline, il souffle en s'approchant de moi.

Je le regarde. Longuement. En essayant de refouler mes larmes. De paraître confiante.

-Qu'est-ce qu'il s'est passé?

Alors il ne sait pas pour son accident. Personne ne lui a dit.

-Vendredi...je commence.

Puis je me ravise. A quoi bon. A quoi bon lui raconter que son meilleur ami s'est suicidé le Vendredi, que ses parents ont découvert le corps d'Elouan en rentrant, qu'ils ont voulu l'embarquer à l'hôpital dans un élan de désespoir affreux et qu'en sortant en trombe de chez eux, ils ont renversé Al' qui devait me rejoindre au ciné?

Il ne sait pas qui est Elouan. Il s'en fout de son suicide. Il ne sait pas qu'on devait aller voir La Piscine. Il ne sait même pas que c'est un film. Il ne sait pas que les Pop Corn sont à six euros.

Et je voudrais hurler au monde que c'est de la faute des Ruffins tout ça. Mais non. Ce n'est pas de leur faute si leur fils s'est suicidé. Alors de celle de Violette? Elle pouvait pas savoir. De la faute des amis? Ils pouvaient pas savoir. De la mienne? D'avoir invité Al' ce vendredi soir spécialement? Du cinéma, d'avoir décidé de rediffuser ce film le jour où Elouan mettrait sa vie en l'air?

Alors je lui dit simplement qu'il a eu un accident de skate en voulant me rejoindre au cinéma.

Il sait même plus qu'il adorait le skate.

Aline [terminée☆]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant