Noir sur blanc

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Je passe mes doigts le long de ces gravures et dans mon esprit, les formes se dessinent comme sur un tableau blanc. Je vois le vieux hibou, ses plumes tracés finement, se tenant fier sur une branche, et ses plumes tombant comme des feuilles en automne.
De l'autre côté de son arbre une silhouette inconnu est tracée. Tout l'objet a été façonné avec une précision et une grâce incroyable, juste le dernier personnage reste flou.

Mes doigts effleurent encore une fois l'objet, espérant trouver un indice sur sa nature, mais en vain. Sans mes yeux je ne peux rien faire. Quand je voyais, je peignais. La peinture était mon salut, les couleurs étaient ma raison de vivre. Le hibou n'était pas seulement sur le totem, il était partout. J'ignore comment cet objet s'est retrouvé dans ma poche, mais cet animal n'est pas un hasard.
Malgré la représentation qu'a fait mon imagination du totem, je ne peux pas le voir. J'imagine le même hibou que celui qui est peint sur mon mur.
Je concentre mes forces et tente désespérément de voir apparaître rien qu'une couleur, mais mes yeux restent teintés de noir. Le noir. Cette unique couleur que je vois sans cesse, qui me suis ou que j'aille, comme pour si elle était la mort venue me narguer.
Mes larmes bouillonnent de rage et de fourre l'objet dans ma poche.

Dans sept minute elle sera là. Elle qui m'aide à garder ma vie en main, elle qui est là quand ce ne va pas. Je veux lui parler du totem, je veux qu'elle me décrive cette forme que je ne peux pas voir.

C'est pour ça que je l'aime, elle est mes yeux. Elle me décrit chaque infime détail comme si je les voyais, chaque couleurs, et le peu de souvenirs qui m'en reste ressurgissent comme des flots déchaînés.

Le cliquetis de la serrure retentit et le grincement de la porte se fait entendre.

-Abby?

Je l'appelle, espérant pouvoir entendre sa voix mélodieuse. Tout ce que j'entends est un juron poussé d'entre ses dents.

-Qu'est ce qu'il se passe?

Mon cœur bat de plus en plus vite. Je ne sais pas quoi faire, elle ne dit rien.
J'entends ses pas rapides et légers faire le tour de chaque pièce de l'appartement.

Au bout de cinq minutes, je sens enfin sa respiration devant moi. Je lui prend les mains et la prie de me décrire la situation.

-Abby, dit moi ce que tu vois.

Cette phrase annonce d'habitude le début du meilleur moment de la journée, un moment où je peux voir. Mais maintenant, ma voix tremble d'inquiétude et j'attend sa réponse, effrayé.

-L'appartement n'est plus pareil. Il a changé de couleur. Les murs sont rouge sang, le sol est prune et la cuisine bleu électrique.
J'ignore ce que s'est passé, mais chaque objet ici a changé de couleur. C'est à la fois déroutant et magnifique.

Je fut immédiatement pris d'un doute. C'est lui. Le totem. Il vient d'arriver chez moi, et la pagaille est également au rendez-vous.
Je le sort doucement de ma poche et le frotte du bout de mes doigts.

Abby émet un hurlement strident.

-C'est toi! J'ignore ce que tu fais mais toutes ces couleurs viennent de toi! On dirait, une explosion de peinture, c'est tellement beau!

-Tu es sure de ce que tu vois?

Pas une fois auparavant je n'avais douté de ses yeux. Mais là, croire est au-dessus de mes forces. Elle me parle encore de la beauté des couleurs qui m'entoure, et ma gorge se serre peu à peu. Un poids dans ma poitrine ne veut pas me lâcher. Je ferme les yeux et me concentre avant de frotter à nouveau le totem.

-C'est magnifique... La ville entière est explosante et rayonne de mille éclats... je ne sais pas comment tu as fait ça, mais la peinture est à nouveau à ta disposition. Cet arbre que je te décris chaque jour, possède maintenant une couleur différente sur chaque feuille.

Je l'entends parler, mais je n'écoute plus. Je voulais rendre les gens heureux grâce aux couleurs, j'ai réussi. J'en suis si fier, c'est incroyable. Mais une boule est toujours coincé dans ma gorge. Ces merveilles que j'ai pu faire, je ne les vois pas.

ChambouléesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant