Chapitre 5 /Tassia/

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    Je vois au loin les terres oubliées de mon enfance, elles  sont derrière moi, pour toujours. Elles s'éloignent de plus en plus, devenant plus petites, jusqu'à totalement disparaître.

   J'ai peur, je serre la main de ma mère, elle tremble, et quand mon regard se pose sur elle, je vois qu'elle pleure, s'étouffant presque de ses larmes. Mes cinq sœurs et mes deux frères sont dans le même état, seul mon père reste stoïque. Lui ne tremble pas, ses yeux ne sont pas souillés par les larmes, son regard ne se porte pas sur l'horizon, non, il est droit et fixe le ciel ou peut-être même bien, l'avenir.

   J'ai froid, mon corps est glacé. Mes jambes ne me portent plus, et je m'écroule sur le plancher de notre navire de fortune.

   Nous sommes trop nombreux sur la poupe du bateau, nous manquons de chavirer régulièrement. Même meurtris par la fatigue, la faim, la soif, nous nous bousculons encore.

   La nuit arrive et nous mourons tous de faim, le silence est pesant et me fait cauchemarder. Nous avons beaucoup de mal à dormir, les uns sur les autres, à la belle étoile.

   Le trajet est long, beaucoup trop long... Et certains d'entre nous n'arriveront pas à destination, en Amérique...

   La plus jeune de mes sœurs est encore bébé, et rares sont les nourrissons qui survivent à un tel voyage, et chaque matin, on a peur de la retrouver dans son sommeil éternel, et c'est ce qui finit par arriver... Comme pour une autre de mes sœurs, et comme pour ma mère...

   Les larmes nous font oublier le sommeil, et tous que l'on peut faire, c'est les confier à l'océan déchaîné.

   Le même océan qui tue le reste de nous, déportés des terres chaudes. Sur ce grand navire qui me paraissait, au début, ridiculement petit, et maintenant si grand, si vide. Nous ne sommes plus qu'une poignée de naufragés, et de ma famille, il ne reste plus que mon père et mon frère.

  Et les États d'Amérique ne nous ont pas tendus les bras. Non, ils nous ont repoussés, encore et encore.

   Mon père se bat de toutes ses forces, il nous a promis autrefois une vie meilleure, ce n'est pas le cas. Il rentre chaque soir épuisé, des cernes sous les yeux, gagnant, certes plus qu'avant, mais comparé à chez nous, les prix sont bien différents. Et avec le dixième de ce que l'on a maintenant, on serait riches loin de New-York.

   Moi et mon frère sommes privés d'école, et tout ce que l'on peut faire, c'est le tour de notre petit studio toute la journée, se cognant contre les quelques meubles qui sont présents.

   Mais la fatigue gagne vite mon père et c'est ce qui l'envoie vers le reste de notre famille, dans un endroit soi-disant merveilleux. Si merveilleux que l'on n'en revient pas.

   On est perdu, nous ses enfants, et pas un seul orphelinat ne nous accepte. Dans les rues d'une immense ville qui nous est inconnue, on fouille les poubelles, on tend nos mains crasseuses vers des passants que l'on dégoûte.

   N'ayant plus aucun espoir, et nous voyant nous dépérir sur nous-mêmes, mon frère se met à voler. Et une nuit alors que je l'attends devant un magasin, il se fait prendre. C'est la fin, personne ne peut plus nous aider. Je vois encore son poing levé, le sang immaculé autour de lui. Direction la prison... A cause d'une ancienne prise qu'il a apprise avec des amis derrière la maison, quand on était petit, un coup mortel qui vaut cher en Amérique...



Jusqu'à quand ? [en cours d'écriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant