Sélène - I

247 62 176
                                    

Sommeil

Hélène flotte au dessus des nuages, entourée de cocons de neige, et regarde les chrysalides murir en dessous d'elle.

Sur la terre ferme, Sélène est comme chaque jour assise au bord du lac. Un Oiseau marche sur la passerelle. Il se dandine, ignorant les malheureuses rencontres que l'on peut faire à cet endroit. Cet Oisillon, fraichement sortie de l'écume, passe innocemment près de Sélène.

« — Viens, murmure Sélène. Viens, près de moi. »

Le Passereau regarde alors ce drôle de personnage. Par ces yeux, l'humanité aurait pu renaître dans le coeur de la jeune infante. En une fraction de seconde, Hélène crut voir le spectre de sa jeunesse. Elle en devient pâle.

Echec et Mat.

Sélène balaye, nonchalante, cette vision d'un regard apathique :

« — Jeune oiseau, l'amour est bien mystérieux. Pourquoi les Hommes s'adonnent-ils à de tels plaisirs mortels ? »

Le Passereau secoue la tête d'incompréhension et Sélène s'accroupit près de cette brume bleuâtre :

« — Je pense, petit Oiseau, que c'est la plus fragile, la plus prenante des passions. Plus prenante encore que la rage ou la terreur. »

Elle se redresse, mitigée, le regard absent.

« — Mais, il te dévore de sentiments impurs, te secoue d'attitudes courroucées et de pensées obscènes. C'est une pureté illusoire qui pactise avec l'amertume et les tréfonds de l'âme, que ceux-ci soient bons ou mauvais. »

Le regard de Sélène s'empli de tourbillons et de mépris. Elle se tourne subitement vers le Passereau :

« — Le coeur est alors faible, petit Oiseau, la chair animée de pulsions et l'esprit drogué de fantasmes. L'Homme se perd au milieu de cette obscurité diaphane, de cet espoir sinistre. L'amour ne protège pas des blessures, il les rend supportables, trop supportables - transformant les hurlements en plaintes sans grande ardeur. L'amour trouve sa quintessence dans le mensonge, et s'abolit de toutes grâces extérieures. Il joue sur deux tableaux, petit Oiseau. Il joue et tu perds - un si simple jeu, non ? »

Elle caresse brusquement l'herbe qui dépasse du bois craquelé et prononce d'une voix gutturale :

« — C'est une bataille qui mirera sur ta peau les louanges de tes accords maladroits, de tes pêchés et de tes croyances vaines. »

Le Passereau gémit. Sélène le regarde :

« — Ça ne sert à rien de lutter, abandonne-toi à cette ivresse dès maintenant. Ouvre tes yeux mis-clos. »

Sélène veut partager la noirceur du monde qui a trouvé refuge dans son coeur.

« — C'est aussi celle qui va mortifier ton courage et ta force, celle qui va épouser ta marginalité et égarer ton souffle. Elle t'animera de sentiments incompris ! Elle, médiatrice des âmes, progénitrice du tourment ! »

La voix de Sélène se casse, et ses bras ballants retombent de leur exode vers le ciel. Après une courte pause, elle ajoute :

« — Malheureusement, c'est le sentiment le plus précieux de l'Homme. N'est-ce pas ? »

Sélène n'attend pas de réponse de l'Oisillon. En silence, ses joues se peignent de larmes.

Mon Yakamoz Où les histoires vivent. Découvrez maintenant