Sélène - III

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Hélène flotte, les bras ballants, le coeur en apesanteur. Elle se sent lourde. Et pourtant, elle continue à regarder la scène dans sa liturgie :

« — Je suis désolée oisillon, l'exaltation m'a animée ce matin. L'aurore s'est levée, belle et rougie par les cris de la nuit. Les étoiles m'ont frappée de leur sainte lumière. J'ai perdu espoir, je crois... J'ai perdu espoir de revoir la même eau couler sur mes flancs quand je me baignerais dans ces fleuves, j'ai perdu l'espoir d'apercevoir la fumée du soir sous ces astres de cristal. »

Le Passereau ne répond rien.

« — Pourquoi tu t'évertues à t'emmurer dans ce silence ?! »

L'eau ruisselle dans l'étang.

« — Tu m'ennuies », remarque-t-elle.

L'Oiseau reste muet tandis que Sélène souffle des nuages de vapeur dans l'air froid du soir.

« — Je suis assise ici, voguant dans ces eaux troubles, dit-elle en serrant ses petits doigts. Troublée de mirages qui s'ingénient à me bercer, je ne vois strictement rien. Ils sont tous si proches alors que je ne les touches pas... "Qui suis-je ?" me disent-t-ils. Qui suis-je... »

Elle entend la lourdeur de sa peine ; l'écho de sa misère sonne en elle. Hélène en est assommée.

« — On me répète : "Sois l'Homme qui enivre les autres, sois le malheureux qui offre, sois le contour du jour." J'ai préféré être la pâleur de la lune qui rejette les supplices sur les astres les plus indigents. »

Le Passereau frappe subitement le plancher de la calanque.

« — Ne me regarde pas avec ce regard, Malheureux que tu es. N'essuie pas tes entraves sur moi, ne m'agite pas, s'il te plait. »

Sélène a le coeur-épave, transit à l'ammoniaque. Elle fixe la montagne enneigée.

« — N'est-elle pas magnifique, cette miraculeuse tâche, là sur cette pierre ? Elle serpente entre les crevasses, façonne de sa blancheur les troubles du coeur. Aride statuette posée au hasard sur la terre, pauvre facette magnanime de la montagne. Quel sulfureux délice de la voir encore scintillante en cette heure si tardive. Mais bientôt, elle disparaîtra - éphémère beauté du monde. »

Elle se penche lentement vers l'eau, goutant aux plaisirs de Bacchus. Sélène cligne des yeux, elle voit pour la première fois son reflet dans cette eau claire et translucide. Elle croit voir un spectre qui, par le halo ardent de la lune et de son éclairage brumeux, semble être caressé d'un voile onirique. Tout droit sorti du sépulcre, Sélène se mit à doucement rire. Le coeur d'Hélène cesse de battre, un dégout aux bouts des lèvres.

« — Que t'ai-je dit.... Me prends-tu pour une folle ? »

La jeune infante regarde cet animal du ciel un instant, et se retourne de nouveau vers le sublime de l'eau, contemplant son misérable Dorian Gray. Un sourire triste se fend sur son visage :

« — Je t'envie, petit Oiseau, pour n'être qu'une simple chair si jolie, si belle dans ses habitudes. Si parfaite dans sa consécration et même dans sa déchéance, tels des danseurs qui s'apprêtent à marquer la scène de leur dernière cadence. Tu es une beauté figée, oubliée par le temps. Une beauté immuable qui ne frémit pas aux simples bourrasques de la vie. »

Mon Yakamoz Où les histoires vivent. Découvrez maintenant