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Pour Shannon Whitney, ses enfants étaient destinés à faire de grandes choses, à devenir des gens biens, des citoyens respectables dans le monde. Elle avait espéré pour sa fille, Elena, qu'elle fasse un beau mariage, qu'elle trouve un boulot pas trop prenant pour qu'elle puisse la visiter avec ses petits-enfants, et qu'elle soit heureuse en ménage avec un garçon de la ville. Mrs Whitney estimait que les hommes de Calhoun étaient peu instruits, ne savaient en aucun cas tenir une conversation polie et ne paraissaient pas à leur avantage, même si elle avait épousé un de ceux-là.

Son fils, Lux, était pour elle la perle de cette petite ville, un sourire communicatif et quelques facultés qui lui aurait permis d'entrer dans une université plus que satisfaisante si sa mère n'avait pas décidé pour lui qu'il irait dans la faculté de Brattleboro, la grande ville la plus proche. Pour sa mère, Lux était le fils le plus chéri et le plus heureux du monde. Mais il n'en était rien en réalité. Il était lasse des brunchs dominicaux de sa mère, des petites routes pareilles de Calhoun, des mêmes visages faussement polis dans les rues, il était lasse de ne pas voir ses amis, partis pour l'été, qui étaient censés l'appeler tous les jours mais qui n'en faisaient rien. Sans doute Ezra était-il trop occupé à Majorque avec ses parents, ou que Jack s'était trouvée une nouvelle copine dans le sud de la France. Il s'ennuyait là, dans sa chambre, une petite balle à la main qu'il lançait et rattrapait depuis une bonne demi-heure. Le regard vitreux, il pensait à la fille que lui rêvait de rencontrer cet été. « N'importe laquelle est bonne à prendre », se dit-il, « j'aurai quelque chose à raconter aux gars quand ils rentreront ». Mais jamais il ne trouverait une fille qu'il ne connaissait pas déjà dans cette ville, et Jack disait sans arrêt que les filles d'ici étaient toutes des « bouseuses repoussantes », même s'il ne se privait pas de les enchaîner les unes après les autres. Ce qui comptait le plus pour son ami Jack, c'était de marquer des points, de raconter des anecdotes sur les quelques fellations qu'il avait reçu dans la semaine, des filles qu'il avait emballer avec quelques phrases bateaux à une fête, jamais rien de sérieux. Toutefois, Lux était jaloux de l'attention qu'il pouvait recevoir du sexe féminin. Lux n'était pas tout à fait laid, au contraire, il avait un bon mètre quatre-vingt, des cheveux châtains qui partaient dans tous les sens, assortis à de denses sourcils, surplombant des yeux marrons et des pommettes parsemées de tâches de rousseurs qui étaient venues se poser là au début du mois de juin, sur son bronzage. Il se trouvait moins beau que Jack. Sa sœur trouvait que contrairement à lui, Jack était ténébreux

Il avait eu une envie terrible d'appeler son grand frère, ce soir-là, pour lui demander s'il pouvait venir le sauver d'un énième dîner organisé par leur mère. Mais Isaac avait réussi à s'échapper à Columbia et il était hors de question de le ramener dans ce piège de petites mondanités qu'était Calhoun. Alors Lux, sans grande joie, sortait une chemise – il ne repassait jamais ses chemises car il n'en portait que pour les dîners de sa mère – et descendait les escaliers, se traînant comme un sac en bas des marches pour saluer d'une poignée de main molasse le premier invité barbant et habillé de grosses fleurs que Mrs Whitney conviait régulièrement. Il se dirigea vers la cuisine, piqua dans la peau fumante et dorée du poulet que sa mère avait préparer sans doute avec grand soin, et regarda l'heure au micro-onde. 9h21. Harvey était censé être revenu du Connecticut.

Les Kessler traînaient leur fils dans un nouvel état chaque année, ils avaient décidé de « profiter » du temps familial après la crise cardiaque de Mr Kessler il y a quelques années, tout ça pour finalement visiter les états avoisinants le Vermont et coller au réfrigérateur un nouveau magnet de bonhomme souriant. Harvey était un gentil garçon qui aimait faire plaisir, et était trop poli pour dire à ses parents qu'il n'en avait rien à faire, d'aller dans le Connecticut. Si les Kessler étaient revenus, la soirée de Lux n'était peut-être pas perdue. Il fallait juste qu'il s'échappe. Pas le temps de trouver une excuse, il fouilla dans un tiroir à la recherche d'un Post-It et griffonna un petit mot pour ses parents et fila en vitesse.

CalhounWhere stories live. Discover now