Partie 2

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En ce mois d'août, le cours d'eau n'était plus qu'un mince filet bordé de pierres, marquant l'orée de la forêt. Personne ne s'y rendait, puisqu'il n'y avait pas assez de profondeur pour se baigner, et encore moins pour y pêcher quoi que ce soit. Le seul afflue d'eau encore capable d'être appelé rivière était celui qui alimentait le moulin, plus au sud de la ville. Nous nous assîmes donc au bord du ruisseau, à l'ombre des arbres, pour se protéger un tant soit peu de la chaleur. Avant de relater ma mésaventure, je fis quelques ricochets, mais les pierres finissaient toutes par se heurter au sol.

- Bon, on va pas y passer la journée finis-je par dire, même si c'était moi qui retardait l'échéance.

Ainsi, je racontai la scène, qui n'avait rien d'extraordinaire. Ce n'était pas tant le dénouement qui me gênait (le nez en sang, les bleus sur les joues et le ventre, et les crachats en pleine figure, sans parler de mon entre-jambe meurtri), mais le pourquoi. L'accusation me paraissait totalement injuste, idiote et démente ; mais en même temps, j'y avais pensé tellement de fois qu'elle ne l'était pas tant que ça. Excepté que du moment qu'elle restait dans ma tête, je ne me prenais aucun coups et n'était pas humilié.

- Tu sais me dit Justine en me passant le torchon qu'elle avait dans son panier, mon père aussi s'est déjà fait traité de collabo.

- Ah oui ? Pourquoi ? Demanda Louis.

- Parce que plusieurs fois les Allemands sont venus à notre ferme. Pour le ravitaillement précisa-t-elle précipitamment. Enfin bref, un jour, au bar, un type, Joseph Gabrini je crois, a provoqué mon père en déclarant que c'était un collaborateur. Mon père est sorti furieux, est parti, puis est revenu 20 minutes plus tard. Il a balancé une tête de porc aux pieds du bougre. « Tu vois le résultat mon vieux ! » a-t-il vociféré. «Si je conteste, c'est mon bétail qui y passe ! » À partir de ce jour-là, plus personne n'a traité mon père de collabo. Tout le monde avait retenu la leçon, crois-moi.

On ressentait une pointe de fierté dans sa voix. Louis et moi étions médusés.

- Bon, faut que j'y aille déclara la jeune fille en se relevant.

Lorsqu'elle fut debout, elle me regarda droit dans les yeux.

- Nous sommes dans une drôle de période. Et à partir du moment où tu tiens la porte à un boche, ou que tu lui fais de l'ombre avec ton corps en pleine canicule, involontairement, tu deviens un collaborateur. Te fais pas de bile.

Elle en avait de bonnes. Moi je voulais bien ne pas me faire de soucis, mais ce n'était pas ça qui allait empêcher les autres de se déchaîner sur moi.

- Oh, hé au fait ajouta-t-elle. Oublie pas de me rendre mon torchon. Et oubli pas non plus de le faire laver.

𝑃𝑎𝑝𝑎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant