Partie 5

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Mon sac pesait lourd, alors je jetais mes livres de cours au pied des arbres. Ce qui avait été à la nature revenait à la nature.

Je continuais à courir pendant au moins trois bons kilomètres à travers les bois. Je les connaissais bien pour y avoir joué quand j'en avais encore l'âge ; et pour une fois y avoir été poursuivis, avec trois autres lycéens, car nous avions volé un jambon.

Je déboulais bientôt à la ferme des Batignol, une famille de paysans.L'arrière de la maison était un immense champ de blé, c'était là où je me trouvais. Je me dis que je pouvais bien leur demander ma route, alors je m'avançais vers le corps de ferme. Rapidement, je m'aperçus qu'il y avait un établie à côté de la maison, et que dedans se trouvaient quelques personnes. Avant que je ne puisse me baisser, une voix me héla :

- Hé toi là ! Dans le champ de blé ! Qu'est-ce que tu fou ici ?

- Je ... hum ... venais demander ma route, bafouillais-je.

Ressaisis toi enfin. Si c'est comme ça que tu commences ta nouvelle vie, tu tiendras pas longtemps, me dis-je.

Un homme s'avança. Malgré ne l'avoir vu que trois ou quatre fois, je le reconnu. C'était le fils Batignol. Il était grand et large d'épaules, forgé par les travaux agricoles. À l'évidence, lui aussi m'identifia.

- Ta route ? À cette heure-ci tu devrais plutôt être en classe, un pecnot comme toi. Et fils de médecin par dessus le marché.

Je n'avais pas la répartie que j'avais face à Francis, alors je dis seulement que je voulais aller vers le Mont Mouchet. La bête n'était pas bête. Il sourit narquoisement et se pencha vers moi :

- En ce moment, on ne se rend là-bas que pour une seule chose, si tu vois ce que je veux dire, me souffla-t-il.

Je palis. Il se redressa. Plus sérieusement il ajouta :

- C'est là où je vais aussi, avec ces gaillards que tu vois là-bas, qu'il m'indiqua d'un mouvement de tête. Joins-toi à nous si tu le souhaites.

Je hochai la tête. Il me prit par l'épaule et m'entraîna avec lui. David Batignol expliqua la situation aux autres. Ils me jaugèrent,mais au final, personne ne s'opposa. J'étais plus jeune qu'eux d'au moins deux ans, mais ils avaient besoin d'hommes et tout le monde pouvait se rendre utile. Ils m'exposèrent brièvement leur plan. J'acquiesçai. Ainsi, je me mis en route avec eux deux jours plus tard, nous arrivâmes trois jours après. Les parents de David lui avaient donner le peu de vivre qu'il leur restait, à savoir un morceau de fromage et de pain plus une boîte de haricots, ainsi qu'une carte. Chacun des autres gars avaient également dans leur baluchons de quoi tenir quelques jours. Quand à moi, je n'avais pu chiper qu'un morceau de pâté avec trois pommes de terre.

Le trajet se passa sans encombre. Nous voyagions à travers champs et forêts. Nous nous relayions à tour de rôle pour que constamment, la garde soit montée. Jamais nous n'aurions pu justifier notre voyage avec si peu d'affaires et au vu de notre petit groupe.

Je n'avais pas l'habitude de vagabonder de la sorte, mais je m'y fis vite. Et puis, comme me l'avait fait remarquer un des amis à David, je n'avais pas le choix que de m'adapter. J'avais voulu être ici alors autant prendre mon parti. Les autres savaient comment se débrouiller et, heureusement, ils ne rechignaient pas à m'apprendre à faire des pièges à lapin ou à fabriquer une canne à pêche de fortune. L'une des méthodes consistait à employer un trombone en guise d'hameçon. Par chance je n'avais pas jeté toute mes affaires scolaires.

Lorsque nous arrivâmes aux environs du Mont Mouchet, nous allâmes d'abord voir un homme qui nous aida à passer inaperçue et à nous rendre jusqu'au rassemblement du réseau de résistance. L'adresse de sa maison avait été donnée à David par le père de Francis. Tout deux se connaissaient et Martin Bézier avait communiqué des instructions précises au deuxième.

Nous nous retrouvâmes dans un bois avec d'autres hommes, certains guère plus âgés que moi. La plupart voulait échapper au STO, c'est-à-dire le Service du Travail Obligatoire. Instauré au début de l'année 1943, il prévoyait que tous les jeunes gens nés entre 1920 et 1922 devaient partir en Allemagne, toutes professions et catégories sociales confondues.

Tout ces hommes étaient répartis en compagnies, allant de 1 à 15. Chaque combattant recevait un fusil, une carabine ou une mitraillette. Et chaque Compagnie disposait de 9 fusils-mitrailleurs et d'une centaine de grenades défensives. Cinq Compagnies furent dotées de 2 bazookas et de 2 mitrailleuses légères. Nous étions formés par d'anciens militaires. Nous apprîmes à nous battre au corps à corps, à tirer avec des armes à feu, à manier les explosifs, et également à décrypter des messages codés. J'assistais à certaines opérations mineurs de sabotage. En même temps que notre instruction, nous devions aussi nous maintenir en forme et assurer le maintien du campement.

C'est seulement trois semaines plus tard que ma première grosse opération eut lieu, celle de saboter l'usine Michelin à Clermont-Ferrand, celle-ci étant réquisitionnée par les fritz. L'enjeu était énorme. Parmi nous se trouvait des hommes faisant partis d'un groupe qu'on appelait les Truands. C'était un groupe d'hommes qui s'étaient eux-mêmes baptisés de la sorte, et qui ne craignaient personnes, de vraies têtes brûlées dont tout le monde avaient peur, même les S.S les plus farouches.

L'opération eut lieu au milieu de la nuit. Inutile de dire que je n'avais jamais eu aussi peur de ma vie. Comme j'étais novice, je fus placé en embuscade pour faire le gai. Chacun avait un rôle bien précis, tout était réglé au détail prêt. Certains bouillonnaient sur place, impatients de faire leur preuve et de jouer un mauvais coup aux boches, ou plutôt, de leur rendre la monnaie de leur pièce.

Cependant, une heure après le début de l'opération, un de mes camarades revint vers moi en me faisant signe de déguerpir.

- On a été repéré chuchota-t-il.

Autour de moi, j'entendais le repli des troupes et quelques coups de feu. Je compris que nous devions tous nous disperser si nous ne voulions pas être retrouvés par les patrouilles allemandes. Paniqué, je suivis Alain, l'homme qui m'avait prévenu, et nous nous terrâmes dans les buissons toute la nuit. Durant des heures nous écoutâmes les allées et venues des soldats allemands. À un moment donné, un chien passa à proximité de nous. Alain avait un sachet de poivre dans la poche de son blouson et, discrètement, il en dissémina autour de nous. L'odeur forte du condiment masquait en parti la nôtre.

Au petit matin, nous nous rendîmes au point de ralliement. Un homme qui avait position d'autorité fit faire le silence et se plaça au centre du groupe.

- Mes camarades, cette opération n'est pas une victoire, mais pas non plus une défaite totale. Si nous avons pu faire sauter des chaînes de montages, nous avons cependant des pertes à déplorer.

Aussitôt,un brouhaha se fit entendre. Mon cœur se serra. Bien évidemment, cela était quasiment inévitable. Mais c'est comme si je ne m'étais pas préparé à subir des pertes. En réalité, je ne m'étais pas encore totalement détaché de mon ancienne petite vie tranquille. Désormais, j'étais au cœur des événements, je les vivais, et je ne les lisais plus seulement dans les journaux.

Le chef refit faire le silence et poursuivit :

- En effet, trois de nos hommes sont mort cette nuit, et un des chefs Truands s'est fait prendre. Il s'agit de Pierre Calmet.

Je crois que cette dernière phrase m'avait frappé comme aucun autre coup que j'avais reçu de ma vie. Je me suis levé, j'ai demandé des renseignements sur cet homme. On m'a répondu qu'il était docteur. J'ai compris qu'il n'y avait aucun doute là-dessus, que c'était bel et bien mon père. L'homme que j'avais voulu renier tant de fois. Aujourd'hui, je découvrais une part de lui que je n'aurais jamais imaginé, c'est aussi le jour où j'appris que je ne le reverrai jamais.

𝑃𝑎𝑝𝑎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant