Partie 1

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CLAP CLAP CLAP CLAP. Le pas de l'oie. La marche rythmique des Allemands résonnait désormais dans toutes les rues. Le regard fier et fixe, la figure austère et grave, la posture droite et imposante. Ils faisaient crânement claquer leurs bottes cirées. Ils n'avaient rien de français, et pourtant, ils étaient partout dans le décor de la France. C'était l'Occupation. Leur présence s'y méprenait à la Mort elle-même, comme s'ils dégageaient une odeur de corps en décomposition et des sentiments néfastes.

À cette époque, j'avais 17 ans, et donc je gardais pour moi ce genre de réflexions et comparaisons. Il n'était pas bon d'exprimer pareil avis sur les Allemands. Pas si on tenait à la vie. Ou alors, si on les chuchotait dans les oreilles de personnes fiables. Moi, je préférais me taire et me faire discret, je n'étais encore qu'un lycéen. Et puis, je n'avais de surcroît pas à me plaindre. Je vivais bien malgré la situation, j'avais un toit et de quoi vivre. Mon père était médecin, alors forcément, les revenus étaient assez satisfaisants. Même avec la propagation des cartes de rationnement et des tickets d'alimentation, les placards n'étaient pas déserts.

Un mois après l'armistice, toute la population avait dû se faire recenser afin d'établir ces fameux tickets et cartes. Ils donnaient la possibilité d'acheter des marchandises, mais ne remplaçaient par la monnaie. Aucune sécurité n'était garantie avec ce système. On n'était pas d'avantage sûr de trouver ce qu'il nous manquait. Dans l'ensemble, la plupart des personnes manquaient cruellement de nourritures et de produits de première nécessité. Je me rendais bien compte de la situation, et j'espérais pouvoir un jour assumer mes propos et les illustrer en participant à la révolte et revanche de la France.

- Bonsoir monsieur Calmet, me dit, en sortant de chez moi, de son accent guttural, un officier Allemand au moment où j'arrivais.

Je répondis par un bref hochement de tête. Je restais respectueux sans chercher à en faire plus. Je n'avais pas pour habitude de cirer les pompes, je trouvais ça hypocrite et futile.

- Au revoir commandant Hanzel.

C'était la voix de mon père. Il raccompagnait le boche jusqu'à la porte.

- Un patient ? je demandai après qu'il eut fermé la porte.

- Bien sûr répondit-il en haussant les épaules, il est venu me voir pour des douleurs à l'estomac.

Puis il repartit dans son bureau, en prenant bien soin de refermer la porte derrière lui.

Je ne dis rien, mais je n'aimais pas trop que des Allemands viennent chez nous. Qui sait ce que les voisins pouvaient dire ? En plus, ce n'était pas la première fois que des fritz venaient consulter mon père. Je ne voulais pas que l'on crut que l'on fricotait avec eux. Mon père se sentait à chaque fois comme obligé de justifier leur visite, mais il n'empêche qu'il acceptait de les recevoir. Outre le fait que je ne voulais pas que l'on nous prenne pour des partisans des Allemands, j'avais aussi le souci patriotique. Jamais je n'accepterai que la France reviennent à ces maudits boches.

J'allai ensuite dans ma chambre faire mes devoirs, mais peu m'importait qui était Descartes et son cogito ou encore Marco Polo. Ce qui comptait pour moi, c'était maintenant. Ce qui m'importait c'était comment on allait se débrouiller. Pas seulement 《on》moi et mes parents, mais 《on》la France. Je n'en pouvais plus de voir des Allemands déambuler à chaque coins de rue et faire régner leurs lois. La dernière fois, en sortant du lycée, moi et deux copains avions voulu aller faire un tour du côté de la gare. Or, un soldat allemand nous avait intercepté pour nous demander de circuler ailleurs. Il était hilare. Nous avions passé le reste de l'après-midi à le maudire.

Un type de la classe, Carl, ne comprenait pas pourquoi nous les haïssions tant, ces Allemands. Je crois qu'il n'avait pas bien compris la situation. Qu'il ne compte pas sur moi pour le lui expliquer. J'avais déjà essayé et ça n'avait servi à rien. Il était emplit de trop bons sentiments de fraternité, de rêves de grandes amitiés entre les deux nations. Foutaise.

𝑃𝑎𝑝𝑎Où les histoires vivent. Découvrez maintenant