- SIX

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Asa tambourine son poing contre la fenêtre de l'appartement. Il étudie la salle à manger vide en serrant les dents. Il cherche la moindre présence de la jeune fille au tempérament sanguin. Soudain, un homme à la peau pâle et aux cheveux recouverts d'un chapeau, l'interpelle :

- Qu'est-ce que tu fais, mon bonhomme ?

- Bonjour Monsieur Jones. Désolé... On cherche votre fille.

George raccompagne Asa jusqu'au pallier du bâtiment où Elio et Rose attendent patiemment. Il ouvre la grande porte et se retourne vers les adolescents.

- Line est partie acheter des fruits. Je ne pense pas que vous la croiserez aujourd'hui.

Il soulève de quelques centimètres son chapeau en signe d'au revoir et s'éclipse. Rose marmonne dans sa barbe et, à contre-cœur, tourne ses talons.

- Je pense qu'il a menti, murmure Asa une fois qu'ils sont assez éloignés de l'immeuble.

- Hein ? s'indigne Rose.

- Mais oui, écoute ça ; Line m'a dit qu'elle avait épuisé tous ses tickets de rationnement pour qu'Elio puisse profiter d'un vrai bon gros repas à son retour, raconte Asa à la fille puis il se tourne vers son frère : Elio c'était la première soirée. Je suis sûr tu t'en souviens. Line m'avait demandé de ne pas t'en parler pour pas que tu te sentes endetté. Mais ce soir là, il y avait bien des rations de pommes et de carottes en plus !

Rose entraîne les deux frangins dans une petite ruelle à proximité. Elle croise ses bras contre sa poitrine et lance :

- George ne nous aurait pas menti, Asa.

Mais très vite, le visage de Rose se matérialise, comme si elle venait de trouver la solution à un problème de mathématiques.

- À moins que ce soit trop important pour que l'un de nous l'entende. Ça doit être un truc du genre... Line est dans le QG de la Résistance. Me regardez pas comme ça les gars, vous savez tout comme moi que Monsieur Jones en fait parti alors pourquoi pas sa fille ?

- Attendez, vous... vous pensez qu'elle en fait partie ? Et puis, en... en fait ça ne m'étonnerai pas.

Asa et Rose hochent la tête, approbateurs.

- Notre amie s'est encore mise dans une de ces affaires, ironise Asa, une main dans sa chevelure.

+ +

Line écoute le jeune homme en long manteau dont le but est celui de l'effrayer. Il arbore un sourire enjôleur mais pourtant son regard est dur comme le sol.

- Dites-moi qui vous êtes, insiste Line.

- Tu as quoi, douze ans ? Et tu traînes ici après l'école.

- J'ai dix-sept ans.

La jeune fille se balance d'un pied à l'autre et croise ses mains. Son mensonge n'a pas l'air de convaincre le garçon qui soulève un rictus. Néanmoins, il semble satisfait et demande :

- Tu viens voir qui ?

- Un dénommé Jacques, je voudrais travailler pour lui. Nuit m'envoie.

L'homme tourne la tête derrière lui et souffle :

- Tu as de la chance que je ne sois pas de la milice. Je t'arrêterai sur le champ. Je suis Jo, en fait. Aller, rentre par là, ma p'tite.

Ma p'tite ?

Line suit le garçon à travers une porte portant le numéro douze. Jusque là, elle aurait pu parfaitement croire que c'était une simple habitation, pourtant, une fois le seuil franchit, Line découvre un vaste salon peu coloré aux nombreux fauteuils et tables. Des hommes discutent à côté d'une cheminée, fument des cigares autour d'une carte allongée sur une table, ou dorment sur des canapés usés. Tout cela aurait pu être synonyme de bruit - des hommes rassemblés donnent souvent un amas de rires et de voix graves - cependant, le salon est silencieux. Line avance entre ses hommes sans trop savoir où se placer. On ne l'a remarque pas, même si dans cette étendue elle fait tache, avec ses chaussettes hautes et ses cheveux tombant sur ses épaules.

- Où est Jacques ? interroge Line vers son escorteur.

Jo s'approche d'elle. Une bonne tête la sépare du visage du jeune homme qui lui répond que Jacques ne semble pas présent. Puis il se tourne vers Line et la sermonne :

- Il ne faut en aucun cas que tu informes quelqu'un de cet endroit. Si la milice trouvait tout ça, nous on serait déportés et on ne pourrait plus aider ceux dans le besoin.

- Je ne comptais pas vous dénoncer car je veux en faire partie.

Jo la fixe, ses sourcils se froncent légèrement et à nouveau, son rictus se soulève.

- Alors c'est Nuit qui t'envoie ?

Line n'a pas même le temps de répondre que Jo appelle un grand homme assis autour d'une table. Ce dernier se déplace d'une démarche assurée - elle rappelle à Line celle d'Elio, avant la guerre.

- Elle dit que Nuit l'envoie, informe Jo.

- Aha, ça mon grand, c'est sa fille, s'exclame théâtralement le grand homme.

Jo écarquille ses yeux et lève ses mains devant lui, pardon mademoiselle, semble-t-il vouloir dire.

- Je suis Marc, Le Bras Droit de Jacques. C'est le chef ici. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Line sert les lèvres. Elle annonce une énième fois qu'elle veut faire partie de cette organisation résistante.

- Que penses-tu pouvoir faire ? demande Marc.

- À vous de voir, je sais que vous manquez de renfort et d'informations à propos de la prochaine rafle de la milice.

- Comment elle sait tout ça la p'tite ? s'écrit Marc en regardant ses collègues amusés.

- C'est bien la fille de son père, siffle un barbu sur son fauteuil.

Quelques minutes plus tard, Jo revient vers sa protégée et lui offre un verre d'eau. Puis il la libère des hommes bavards en l'emmenant vers le fond du salon. Un tableau abstrait décore leur coin sombre. Ne sachant quoi dire, Line vide son verre. Jo annonce :

- C'est pas une mince affaire, ce que tu fais là. Je suis chargé de te trouver un surnom. Grâce à ton père, tu es directement placée dans notre réseau. Alors t'as une idée ?

- De quoi ?

Jo regarde derrière lui pour vérifier que personne ne les écoute - simple toc car chaque homme dans cette pièce à prêter serment de ne pas collaborer avec les boches.

- De ton surnom !

Jo s'arrête quelques secondes, l'observe et lâche :

- Ça te dirait d'être Moineau ?

ROUGE NUITOù les histoires vivent. Découvrez maintenant