Chapitre 1 - Passage d'un monde à l'autre 🔎

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« L'enfance n'est pas l'époque qui va jusqu'à un âge certain et à cet âge certain l'enfant cesse ses occupations infantiles. L'enfance est le royaume où personne ne meurt. » - Inconnu

La couverture bruisse et un cri étouffé résonne dans la pièce que le calme propice aux longues nuits d'été a remplie.

« - Pousse-toi Shayën ! grogne Morgane»

Morgane se tient sur le bord du lit, les lèvres pincées. Elle se frotte la tête,  balançant sa longue chevelure rousse devant sa figure. Ses yeux émeraude fusillent sa sœur du regard.

" - Oh c'est bon Morgane fait pas ta chochotte non plus !... "

Outrée par les accusations de sa sœur, Shayën s'est redressée de toute sa hauteur et la fusille de ses grands yeux bruns. Comme pour se redonner une certaine contenance, elle repasse la main dans sa longue chevelure noire qu'elle fait passer par-dessus son épaule.

Morgane continue cependant à dévisager sa jumelle d'une moue moqueuse. Shayën lui lance un énième regard noir et reporte son attention vers le vieux livre de manufacture précieuse posé entre elles. Face au comportement plus que exaspèrent de sa jumelle  Morgane lève alors les yeux au ciel et son regard se perd quelques instants dans la contemplation de la tenture rouge du lit à baldaquin que les deux enfants partagent lorsqu'elles sont chez leur grand-père.

 Le vieil homme, veuf depuis cinq ans, est la douceur incarnée. Adoré par ses petites filles, il est souvent complice de leurs mille et une bêtises. Pour lui, elles sont son dernier rayon de soleil. En effet, depuis la mort de sa femme une lassitude profonde s'est emparée de lui et les deux enfants sont les seules à pouvoir lui redonner cette joie de vivre qu'il croyait depuis longtemps perdue.

Morgane sent le corps chaud de Shayën collé contre le sien. La lampe torche qu'elles ont chipé plus tôt dans l'après-midi est posée sur une pile d'oreiller, exhibé comme un trophée.  L'air est empreint de la poussière du livre, faisant tousser les deux enfants avec force. Cependant, elles sont trop plongées dans les codes qu'elles essayent de mettre en place afin de déchiffrer cet étrange livre pour y faire attention.

    L'ambiance de la pièce se fait de plus en plus lourde et les deux fillettes ne la supportent bientôt plus. L'air autour d'elles semble chargé d'électricité et à peine ont elles échangé un regard qu'elles lancent leur couverture au loin. Morgane tend ses petites mains vers les rideaux du lit qu'elle écarte d'un coup sec, une brise nocturne la fait alors frissonner de plaisir et même le contact du sol gelé sous ses pieds nus lui semble comme une renaissance.

    Elle se retourne furtivement vers le lit, sa chemise de nuit virevoltant autour de ses petites jambes et cherche à tâtons la lampe torche sous les couettes renversées.

« - Dépêche-toi, lui murmure Shayën d'une voix rauque. »

    Morgane se retourne précipitamment vers sa jumelle qui a déjà atteint la porte de leur chambre. Les mains de Shayën sont appuyées contre le bouton probablement gelé de la porte à cette heure de la nuit. Elle lui fait signe de se taire, un doigt sur les lèvres et les yeux rempli de malice. De ses mains moites, elle repousse alors le battant avec douceur, jette un coup d’œil furtif dehors et fait signe à Morgane qu'aucun danger n'est en vue. Ainsi, elles s'aventurent en direction de l'escalier à pas de loup.

    La maisonnette était une étrange bâtisse, à l'odeur de bois soutenue, résumant avec perfection les histoires au coin du feu, les parties de glissade en chaussettes sur le parquet brillant et les gâteaux préparés avec amour.

    Le caoutchouc de leurs bottes couina quand les enfants les enfilèrent, puis vinrent le tour de lourdes parkas aux couleurs sombres. Vêtues ainsi, elles ressemblaient à deux bêtes curieuses. Résolument, Morgane se posa sur la pointe des pieds et poussa la lourde porte en chêne de l'entrée. D'un pas hasardeux elles s'aventurèrent dans la nuit noire qui les engloutis prestement avec comme seul point de repère la lumière vacillante de leur lampe.

Elles marchèrent jusqu'au fond du jardin, et bientôt arrivèrent à hauteur d'un puits profond, construit de briques rouges et recouvert de mauvaises herbes. La nature y avait depuis longtemps repris ses droits. Fatiguées par la marche, les deux fillettes se laissèrent tomber sur l'herbe, et scrutèrent les étoiles un long moment incapable de parler.

« - Et si on regardait le livre ? Questionna Shayën sur un ton cristallin, tout en pointant du doigt sa sacoche dans laquelle le précieux objet était rangé.

- Pourquoi pas ? lui répondit Morgane d'une voix rendue rauque et grave par l'effort.»

    Ainsi, pelotonnées l'une contre l'autre, les deux enfants lurent durant de longues minutes ânonnent ce qu’elle pouvait à peine comprendre de cet étrange manuscrit, remplissant la nuit silencieuse de leurs souffle bouillant.

    Les mots raisonnaient dans leurs têtes, et les lettres fugaces semblaient se détacher du livre. L'herbe sous leur pied disparut subitement remplacé par un tapis de mousse épais empreint d'humidité et de feuilles mortes. Les deux fillettes étaient éberluées, le paysage dans lequel elles avaient atterri ressemblait trait pour trait à celui du livre.

    Cela était à la fois effrayant et terriblement excitant. Shayën se leva avec douceur et avança de quelques pas, ses pieds s'enfonçant délicatement dans la mousse drue et épaisse. Leurs chaussures et leurs manteaux avaient disparu. Seul demeurait le livre, la sacoche et étrangement la lampe torche que Morgane, tremblante et suante, serrait contre elle.

    Une brise tiède se leva et emmêla leurs cheveux. Les fillettes se regardèrent avec inquiétude. Un long moment s'écoula dans le silence pesant et étrangement doux de la forêt endormie. Quand, avec la spontanéité des choses qui semblent naturelles, le son d'une flûte résonna entre les arbres et peu à peu la forêt enchantée émergea de son étrange sommeil.

Le livre sans nomOù les histoires vivent. Découvrez maintenant