Frontière

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De nos jours



Le bruit assourdissant de mes battements de cœur résonnait furieusement dans mes oreilles, couvrant le vacarme de ma course et de mon souffle haletant. J'avais les poumons en feu les jambes suppliciées mais je ne faiblis pas l'allure fendant les sous-bois insensible aux branches qui me fouettaient et aux épines qui me griffaient la peau.

Devant moi le bois s'ouvrit soudain sur une clairière et je freinai brusquement en émergeant du couvert des arbres. Mon arrêt fut si soudain que je manquai de m'effondrer.

-Haaaa gosh ! Criais-je m'ôtant le peu de souffle qui me restait encore.

Je m'appuyais des deux mains sur les genoux le temps de réapprendre à respirer. Tous mes muscles tremblaient j'étais en nage et pourtant il y avait des jours que je ne m'étais pas senti aussi bien. Depuis que j'avais rejoint se bled pourris en fait. Je m'étais opposé farouchement à mon voyage si loin de tout ce que j'aimais et surtout si proche de mon oncle exécrable. Mais mes protestations avaient été complètement dédaignées et on m'avait mis de force dans un train pour un voyage de treize heure sur un siège qui aurait plus convenu dans une cellule de torture tant il était inconfortable.

Après avoir retrouvé un souffle à peu près régulier je me redressai et contemplai l'endroit que ma course effrénée m'avait fait atteindre. La vue était digne d'être peinte en tableau impressionniste avec son ciel bleu, son herbe verdoyante ondulant doucement au vent et ses milliers de fleurs. Un petit ruisseau traversait la clairière et je m'en approchai pour me rafraîchir. M'agenouillant devant, je mis mes mains en coupe pour boire. Je m'en aspergeai le visage et la nuque hésitant même à plonger directement la tête. D'un geste machinal j'essayai de m'essuyer sur mon T-shirt mais le trouvais plus trempé que ma peau. L'ôtant je le plongeai dans l'eau et le rinçai de ma sueur avant de l'essorer et de le jeter en travers de mon épaule.

Il faisait assez chaud pour se balader torse nu et le soleil allait doucement faire sécher la transpiration sur ma peau. Rejetant la tête ne arrière j'inspirai longuement m'imprégnant des senteurs de la nature environnante avant de me laisser tomber en arrière. Les hautes herbes amortirent ma chute. Il faisait bon d'être là, et je dû me résoudre à reconnaître que je n'aurai jamais pu profiter d'un coin aussi sympa si je n'étais pas venu dans cette campagne paumée. Je n'allais pas remercier ma famille pour autant, mes grands-parents et ma tante s'arrogeaient un peu trop de droits sur moi depuis qu'ils étaient devenus mes tuteurs. Leur sévérité n'ayant d'égale que leur capacité à ne pas prendre en compte mon avis. Et puis surtout mon oncle n'était pas mieux. Fermier depuis des années c'était un homme dur qui n'aimait personne et surtout pas moi et qui à la moindre contrariété envoyait des claques retentissante qui cuisaient la peau des jours durant. J'en avais goûté plus souvent qu'à mon tour, gamin quand on venait passer nos vacances ici, et mes parents bien que peu partisans des châtiments corporels n'avaient rien dit. Cet homme avait beau se comporter comme le dernier des salopards on ne lui disait jamais rien. On ne l'évoquait qu'avec respect dans la famille, ne médisant jamais sur lui et son caractère pourtant exécrable. Il n'était d'ailleurs pas réellement mon oncle, mon père n'ayant toujours eu qu'une sœur je ne savais pas exactement où il était placé dans l'arbre généalogique.

Euphorique et la tête légère je chassais les sombres pensées qui me venaient dès qu'il m'arrivait de penser à mon oncle. J'étais trop bien à cet instant pour gâcher ce moment avec un abruti pareil. Seule la nourriture qui me manquait aurait pu rendre ce moment encore plus parfait.

L'autre côté de la clairière donnait sur un autre pan de la forêt plus dense et visiblement plus ancien. Même dans mon enfance et du vivant de mes parents je n'avais jamais poussé l'exploration aussi loin. Il y avait de nombreuses légendes sur les forêts de cette région, on les disait habitées par des créatures ancestrales capable du meilleur et du pire. Soudain curieux de visiter une de ses antiques forêts je sautai prestement sur mes jambes pour m'approcher. Ma progression provoqua une débandade chez une nuée de criquets, ce qui me fit rire. Je marchai jusqu'au premier arbre où la crainte de m'avancer en terrain trop sauvage et de me perdre me fit m'arrêter un instant. Mais j'aimais trop l'ambiance des forêts pour m'en priver et puis résolus-je, je n'avais qu'à ne pas m'enfoncer trop en avant et garder la clairière en vue pour pouvoir revenir sur mes pas. Je folâtrai doucement entre les arbres et remarquai un ruisseau. Dans certaine culture les cours d'eau marquaient la limite entre un autre monde et le moment de la traversé n'était pas chose anodine.

D'un bond qui faisait presque trois mètres – et dont je fus assez fier - j'enjambai le ruisseau avant de courir un peu, emporté par mon élan. Un coup de vent plus fort me surpris et je m'arrêtai pour me protéger le visage des feuilles et de la poussière. Le son qu'il produisit en soufflant dans les frondaisons me fit frissonner et j'eus l'impression de me refroidir. En rouvrant les yeux la forêt me parut plus sombre et plus sinistre et l'étincelle de joie qui m'animait s'éteignit brusquement. Je me retournais pour faire demi-tour et retrouver sous le soleil de la clairière mais dû me tromper parce que je ne retrouvais plus le ruisseau.

J'essayais de me réorienter sans grand succès. La forêt me paraissait changer d'aspect à chaque fois que je tournais la tête, me donnant l'impression que je m'enfonçais plus qu'autre chose. Les arbres devenaient plus grand plus gros, les sous-bois plus touffus. J'arrivai bientôt à un endroit qui était si sauvage qu'il me sembla être le premier humain à m'y aventurer.

Je me rendis alors compte que j'étais perdu.

Sans me laisser le temps de paniquer j'avançai entre les arbres et tombai au détour d'un grand chêne, sur une large trouée ou pleuvait la lumière. Ça n'était pas la clairière mais au moins j'y retrouvai le soleil. Je me servis d'un tronc effondré comme d'un siège et m'assis. Il fallait que je réfléchisse à ma situation et au moyen de me tirer de là. Dans ma précipitation à quitter la ferme je n'avais pas pensé à emmener de téléphone avec moi, même si je doutais que les couvertures réseaux s'étendaient jusque dans la forêt. Un long hurlement de loup interrompit ma réflexion.

« Manquait plus que ça »

D'abord effrayé je me fis la réflexion qu'il était bien tôt pour entendre de tels cris d'animaux. J'estimai au son, que la bête était trop loin pour constituer une source d'inquiétude immédiate.

Je levai brusquement la tête. Une branche avait craqué non loin. Je sondai les sous-bois autour de moi sans rien voir, le souffle soudain plus court. Je ne voyais rien mais j'avais... je sentais quelque chose en train de m'épier. J'essayai de me persuader qu'il ne s'agissait que de mon imagination mais l'impression persista. Me sentant trop vulnérable assis je me relevais et adoptai une position défensive avant d'arrêter, submergé par le sentiment d'être ridicule. Sans m'être départie de mon malaise je décidai de reprendre ma marche, quitte à me perdre d'avantage, espérant qu'un peu d'action dissiperait mon mauvais pressentiment.

Cela eu tout l'effet inverse, en plus de terminer de me faire perdre mes repères, j'eus l'impression que mes poursuivants imaginaire s'étaient multipliés. Le moindre bruissement de feuille, craquement de branche, me faisait tourner la tête et je croyais voir des formes dans les bosquets et des yeux m'épier qui disparaissait dès que je braquai mon regard dessus.

Incapable de me contrôler je paniquai et comme toute les fois où j'étais pris par une émotion forte je me mis à courir. Mes jambes étaient encore faible de ma précédente course pourtant je forçai l'allure comme si j'avais le diable aux trousses.

J'entendis soudain des grondements autours de moi ainsi que des bruits de courses comme si j'étais pris en chasse.

La peur embrumant mon esprit j'oubliai tout ce que je savais sur le souffle et aspirait l'air comme un perdu, si bien que je me retrouvais haletant les poumons sur le point d'exploser après seulement quelques minutes. Pourtant je ne ralentis pas, je ne me le permis pas. Je sautai un tronc d'arbre que du coin de l'œil je vis soudain voler comme projeter par une force invisible.

« Bordel de merde ! Je rêvais pas ! Je suis réellement poursuivi ! »

Avec une plainte de gorge je remontais à quatre pattes aussi vite que je le pouvais la pente d'une butte. Je me mis à pleurer devant ma lenteur alors que j'avais l'impression que la menace qui fonçait sur moi gagnait de plus en plus de terrain. Je me remis à courir soulagé de retrouver un terrain plat et avisais devant moi entre les arbres et mes larmes une trouée.

La clairière ! Songeai-je avec espoir.

Jamais de ma vie je ne courus aussi vite et mon effroi n'en fut que plus brutal quand je me rendis compte, alors que poussé par mon élan j'étais incapable de m'arrêter, qu'il ne s'agissait pas du bout d'un chemin mais du début d'un fossé. Je tentai bien de freiner mais ne réussis qu'à trébucher ce qui n'eut pour effet que de me faire tourner le dos au vide. Pendant une seconde j'aperçus mon prédateur ou plutôt mes prédateurs, et la chute me sembla une fin agréable à côté de ce qu'ils m'auraient fait subir s'ils m'avaient eu.

Jamais je n'avais vu de si grandes dents.

La tanière du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant