2. Entre chien et loup

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Mary fut comme happée par les contours anguleux du visage de Patrick. Elle se savait papillon de nuit, et rien n'allumait l'obscurité comme le sourire de l'homme. Qu'importait la distance, elle eût marché les déserts pour un seul de ses regards. Un instant transie, le suivant allumée de feux insoupçonnés, Mary reçut l'ordre que la passion infligeait à son corps, et se décida à mettre ses pas dans ceux de l'homme.

Elle ne savait plus ni le jour ni l'heure présente. Elle ne put que constater le voile de nuit qui couvrait la ville à présent.

Les rues défilaient, couloirs noirs. Dans l'obscurité franche, Mary en fut presque à perdre de vue sa proie. Enfin, elle l'aperçut qui traversait et entrait dans le cinéma qui faisait l'angle.

Un film ? Pourquoi pas... Ce serait d'un romantique !

C'était le jour, elle le savait... Aujourd'hui, elle ne laisserait pas passer sa chance.

À l'intérieur, la voix commune des spectateurs se mêlait en un brouhaha qu'elle ne put percer, mélange d'excitation et d'euphorie. L'homme consultait sa montre à plusieurs reprises. Puis, tirant son téléphone de la poche de son pantalon, il pianota et le porta à son oreille. Elle tenta de deviner la conversation, mais ses doutes finissaient de la jeter dans la confusion. Enfin, elle le vit tourner les talons, et se diriger vers la salle 9. Après consultation de l'écran, elle connut le titre du film. Vite ! À son tour, elle acheta son billet et se dirigea vers la porte 9.

La salle, à l'atmosphère appesantie par le murmure des spectateurs, semblait dormir sous un voile de poussière flottant dans l'éclairage blafard. La place préférée de Mary se trouvait en haut, en milieu de rangée. Enfant, elle pleurait si son caprice n'était pas satisfait. Elle était de ceux qui pensent que le film est autre selon la place qu'on occupait. En faisant mine de repérer un siège en hauteur, elle tentait d'apercevoir Patrick dans le moutonnement des têtes. Au troisième rang en partant du haut, elle le vit, occupé par son téléphone qu'il épiait les sourcils froncés.

Elle ferait donc exception, en prenant place au second rang, juste derrière sa proie. Un effluve ambré lui chatouilla le nez, au milieu des odeurs flottant dans la salle. Une lumière, aussi faible qu'un feu mourant, allumait la chevelure de Patrick.

Mais vas-y ! C'est le moment, chuchotait une voix. Elle secoua la tête pour chasser les suggestions qui l'assaillaient.

L'écran s'alluma ; les premières images éteignirent le concert des voix.
C'était le moment, son moment, elle le savait, et pourtant quelque chose l'enchaînait à son fauteuil. La honte d'être rejetée en elle-meme, la peur de ne pas voir le même feu brûler dans l'œil de l'autre, prévenaient tout mouvement chez la jeune femme.

Si tu hésites, s'éleva soudain la voix dans sa tête, si tu hésites, tu mourras transie de regrets... Lève-toi et marche vers ton destin... Elle n'eut pas plus tôt conscience de cette prière secrète qu'elle se trouva debout.

Mais au même instant, Patrick leva la main, qu'il agita avec une certaine excitation. Mary se rassit, haletante sous le coup qui venait de tuer sa joie. Une femme montait les marches, un sourire aux lèvres. Elle rejoignit Patrick, dans le fauteuil à côté, ce même fauteuil où Mary se voyait prendre place. Elle ferma les yeux lorsque la femme approcha son visage de celui de l'homme.

Encore elle !

Mary ne supportait plus la présence de la femme. Toujours son visage radieux s'imposait entre Patrick et elle. Il fallait avouer qu'elle était plutôt belle : son œil bleu mouillé de miel, l'épaisseur de sa chevelure, renfermaient assez de charme pour mettre un homme sous son joug.

Un soleil noir tomba soudain sur le paysage ensoleillé de ses rêves. L'écharpe qu'elle tenait entre ses mains tremblantes devint sous l'agitation de son esprit un cou gracile. Elle le serrait, fort, très fort, puis, quand la rigidité fut à son comble, elle le tordit. Elle crut entendre le craquement de ses doigts.

Un feu de rage naquit dans sa poitrine. D'un bond, elle quitta son siège, descendit la volée de marches qui la séparaient de la sortie.

Le Rêve de Mary (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant