. Le rêve de Mary

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Mary... Mary...

Elle s'entendait appeler. Elle regarda autour d'elle, l'angoisse grandissante au fond d'elle-même. La voix semblait parvenir de loin. La chambre où elle se trouvait ne lui rappelait rien.

Elle quitta le lit confortable où elle se trouvait. Dormait-elle ? Il lui semblait que la vie devait s'écouler ainsi, dans l'indifférence du temps et du lieu. Elle découvrait ainsi pour la première fois l'étrangeté du moment, et la nuit s'abattit soudain sur elle. Le cœur serré, elle ouvrit la porte de la chambre.

Mary... Mary...

La voix sortait de profondeurs et lui indiquait le chemin. Quand elle eut entendu les pas lourds, elle sut que le danger qui la guettait était bien réel. Elle s'arrêta net. Du haut de l'escalier, elle contemplait à présent la masse sombre qui se découpait en contrebas sur la lumière artificielle d'un réverbère. De la carrure imposante de l'homme elle ne put distinguer le visage. Aussi, lorsqu'il entreprit de monter les marches en appuyant chaque pas, elle sentit la frayeur inonder chaque membre de son corps. Elle tourna les talons et courut jusqu'à la chambre où une nuit sépulcrale régnait toujours. La porte fermée, elle recula et, au centre de la pièce, s'accroupit. La tête entre les mains, elle tenta d'ignorer les soubresauts de la porte qu'on tentait d'enfoncer.

Elle ne pleurait pas ; cela allait bien au-delà. C'était une implosion lente mais sûre de son corps. Alors, quand la porte céda enfin, que la silhouette avec résolution avança vers elle les mains tendues, elle s'abandonna à la pression de ses doigts autour de son cou. Le souffle venant à lui manquer, une lumière se fit dans la pièce...

- Mary... Réveille-toi Mary !

Le souffle court, Mary regarda autour d'elle.

- Tu gémissais dans ton sommeil... Tu as dû faire un cauchemar ?

Mais elle préféra ignorer la question.

- Ça a marché ? fit-elle dans un effort pour se redresser.

- Ça a marché, Mary. Ou plutôt, Lynn !

- Aide moi à me lever, je veux me voir.

Mary s'appuya à l'épaule de Caleb, qui l'entraîna jusqu'à un lavabo surmonté d'un miroir rectangulaire. Là, elle se vit pour la première fois.

C'était étrange, un instant elle se fit l'effet d'un maître actionnant les fils invisibles d'un pantin. Sa conscience semblait flotter dans ce corps étranger. Elle tenta de se passer la main sur le visage, mais le geste gauche, elle n'effleura que son cou.

- C'est normal, dit Caleb qui demeura spectateur tout ce temps. L'accommodation est lente, pas tant à cause du processus que de la forte dose de mélatonine reçue...

Elle soupira de fatigue. Une douche lui ferait du bien. Caleb comprit aussitôt et se dirigea vers la sortie.

- Je te laisse. La salle de bain est juste là, fit-il en lui désignant une porte close. Si tu as besoin d'aide (pas pour te laver ou te sécher !), tu n'auras qu'à appuyer sur le bouton rouge de la télécommande près de ton lit... À plus !

Caleb sorti, Mary se dirigea vers la salle de bain, où dans un renfoncement du mur de trouvait un miroir plus large que celui de la chambre. Là, elle put se contempler plus longuement. Quel âge pouvait-elle avoir maintenant ? Elle tenta de le deviner à travers les sillons des fines rides, les plis marqués ici ou là, qui semblaient parler un langage inconnu. Elle demeura pensive devant les stigmates de la vie, ces empreintes du temps auxquelles on ne faisait pas assez attention.

Au sortir de la douche, elle attrapa une serviette qu'elle enroula autour d'elle. Une vive douleur lui arracha un gémissement. Impossible de nouer la serviette. Le mal la poignait juste sous le sein droit, près des côtes. Malgré le faible éclairage, elle put apercevoir une étendue violette. Sans doute s'était-elle débattue dans la voiture. Peut-être Caleb l'avait-il malmenée en la sortant ?

Tandis qu'elle se rhabillait tant bien que mal, elle entendit le bruit étouffé d'un cri. Elle tendit l'oreille : aux cris succédait un tambourinement sourd. Rhabillée, elle se précipita vers la porte et l'entr'ouvrit. Le bruit venait du bout du couloir, une femme s'écriait :

- Je n'ai rien à faire ici ! Au secours !

Alors, un bruit plus sourd, comme quelque chose d'un certain poids s'écroulant, se fit entendre. Un silence inquiétant s'installa.

Accourant de l'autre bout du couloir, Caleb se précipita vers la cellule. Le corps de Mary - qu'habitait Lynn - reposait inerte à même le sol, où des bris de glace s'éparpillaient.

- Elle a essayé de se suicider ? demanda Mary, qui se regardait avec un certain dégoût.

- Non, je ne crois pas, répondit Caleb. Elle a dû se regarder dans le miroir et tomber dans les pommes. Elle est en vie. Il faut lui laisser le temps de se réveiller.

Ils ne quittèrent pas le chevet de Lynn. Après l'avoir installée dans son lit et attaché une main à un barreau, ils demeurèrent à ses côtés, guettant le moindre gémissement de la femme, qui ne se réveilla qu'à la tombée de la nuit.

- Caleb ?... Mais qu'est-ce que je fais ici ?... Et pourquoi suis-je attachée ?

- On avait peur que vous vous fassiez mal, lança Mary d'un ton impérieux.

Lynn bondit soudain dans son lit. Elle venait de se voir, calme et impavide, assise sur un fauteuil, un plaid sur les genoux. Elle ne put expulser le cri coincé dans sa gorge. De sa main libre, elle heurta la blessure sur son front. Le jour semblait s'être fait dans son esprit.

- Qu'est-ce... qu'est-ce que vous m'avez fait ? demanda-t-elle avec un ton accusateur.

- Tout ça, c'est de ta faute, Lynn ! rugit Caleb qui faisait les cent pas depuis le début. Reconnaissez que c'est un drôle de moyen de vous mettre face à vos erreurs. Annulez la suspension des subventions, reconduis-moi dans mon poste et tout reprendra un cours normal...

- Alors vous avez réussi ? fit-elle, vaincue. Elle se tourna vers Mary, et tentant de faire abstraction de l'absurdité de la situation :

- Donc je suis vous, et vous êtes moi ? Du moins intérieurement...

- Inutile de lui parler, elle ne vous répondra pas !

Dans son coin, un plaid sur les genoux, Mary observait hébétée la scène. Les événements récents avaient jeté un jour nouveau sur la personnalité de Caleb. Si elle voyait là un service rendu à ses plans, elle n'en demeurait pas moins épatée.

- Je dois dire que vous me surprenez. Tant de détermination doit vous changer... Mais j'accepte !

D'ailleurs, avait-elle le choix ? Mary tourna la tête vers Lynn, qui la regardait déjà. Elle s'attendait à une débauche d'arguments échangés dans le feu de l'action, au milieu d'éclats de voix interminables. Or, rien de tel, hormis le calme plat de l'entente. Les gens étaient si imprévisibles...

- Très bien ! lança Caleb avec un rien d'exultation dans la voix. Demain on procédera au processus inverse.

- Demain ? s'écria Mary, ébranlée par la nouvelle.

Elle quitta son siège et, dans un coin de la pièce, échangea à voix basse avec Caleb.

- Alors ça y est, tu abandonnes ? murmura Mary.

- Mais on ne va tout de même pas la garder ici indéfiniment ? Son mari va s'inquiéter. Il se peut qu'il ait déjà alerté les autorités...

- Je peux prendre sa place, moi !

- Toi ? Mais tu as perdu la tête ? Tu ne connais rien de son environnement social, et encore moins de sa vie maritale.

- J'apprendrai, répondit Mary.

- Non, fit Caleb que le visage de Lynn impressionnait toujours, jusqu'à lui faire baisser les yeux, comme ces petits garçons que la moindre remarque suffisait à faire ployer. Mary, elle, avait noté ses regards fuyants, et les entassait dans un coin de son esprit. Il pèserait de tout leur poids le jour où...

Caleb tourna les talons sans ajouter mot et quitta la pièce d'un pas décidé. Mary le suivit bientôt, mais sur le seuil, elle s'entendit être interpellée.

- Vous ne lâcherez rien, n'est-ce pas ?...

Elle attendit que Mary réponde, mais la jeune femme, immobile sur le pas de la porte, lui tournait toujours le dos.

- Vous ne savez pas dans quoi vous mettez les pieds...

Le Rêve de Mary (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant