. Un an plus tard

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Ce que Mary veut, elle l'obtient. C'était une loi, gravée quelque part, sur des tablettes bien gardées, peut-être...

Elle en avait fait du chemin en un an, se dit-elle tandis qu'elle fixait au loin l'horizon consumé par les dernières flammes du crépuscule. Elle se revoyait en ces lieux, frêle et la larme à l'œil, guettant le bonheur des Richmond au détour d'une caresse, d'un rire dont une rumeur lointaine lui parvenait seulement.

C'était avant de connaître Caleb. Il lui avait ouvert des voies insoupçonnées sur le chemin de ses rêves... Le hasard - y avait-il un autre mot pour décrire l'alignement des astres qui s'était produit ce soir-là lorsque, un sourire au coin des lèvres, il lui avait annoncé travailler pour un grand laboratoire, dont elle n'avait pas retenu le nom ? - le hasard avait fait le reste. C'est là que Lynn Richmond intervenait : en qualité de représentante d'une grande banque, elle validait ou invalidait les demandes de subvention du laboratoire. Le dernier projet en cours avait allumé le cœur de Mary : faire passer le contenu d'une conscience d'un corps à un autre via le Transfert, rendu possible par la transformation en donnée mathématiques de l'intangible conscience.

Si elle n'avait pas tout compris, Mary avait néanmoins entraperçu toutes les possibilités d'une telle chimère...
Jamais elle n'avait été si près du but. Certes le chemin avait été long. D'abord, il avait fallu faire avancer Caleb jusqu'aux portes de son esprit. Elle usait pour cela d'une rhétorique particulière, apanage des femmes selon elle... Et lui, gagné par les torches allumées le long de la voie sombre, découvrait à chaque pas un chemin pavé de certitudes.

"Tu as raison !" acquiesçait-il.

Et puis, Caleb se montrait si malléable, elle le sentait dans ses mains, la pâte de son esprit faible passant et repassant sous ses doigts. C'était si facile que c'en devenait pathétique...

On frappa à la porte. Mary demeura interdite un instant ; elle n'attendait personne. À nouveau, trois coups, plus rapprochés cette fois. En ouvrant, elle découvrit Caleb sur le seuil, abattu et prêt à fondre en larmes. Elle n'était pas prête pour ça, pas aujourd'hui... Elle était dans un jour où elle avait besoin d'être consolée. Or, voilà qu'un bébé de trente-cinq ans réclamait son sein !

"Elle nous coupe les vivres, la salope !"

Elle le regarda, impavide, comme si les mots ricochaient sur elle tandis qu'il pénétrait dans le salon.

"Tu entends, Mary. Elle nous coupe les vivres..."

Il allait ajouter quelque chose, mais les mots mouraient dans sa bouche.

De larges cernes noirs menaçaient de dévorer son visage émacié. Il s'assit sur le premier fauteuil qu'il trouva, et se prit la tête dans les mains. Elle vit pour la première fois ces doigts fins. Tout, dans sa posture, ses gestes, disaient sa faiblesse.

"Je n'ai qu'un mois pour foutre le camp. On n'en est qu'au test sur les animaux, tu sais..."

Il parlait sans attendre de réponse, pour se soulager.

Le jour se fit soudain dans l'esprit de Mary. La jeune femme quitta alors sa fenêtre, puis se dirigea vers Caleb. Elle s'assit sur la table basse, en face de lui, et sa position de petit garçon puni, loin de l'attendrir, lui répugnait. Elle lui donna néanmoins ce qu'il attendait. Avec surprise, il vit qu'elle était là. Sans un mot, elle lui prit les mains, et quelque chose dans l'attitude maternelle qu'elle prenait pour lui parler le charma à nouveau. Un moment elle fut si proche de ses lèvres qu'il put sentir l'exhalaison de son souffle.

- Il faut aller plus loin, tu entends ? Emboîte lui le pas, lance la deuxième phase.

- Le test sur les humains ? Tu es folle ?

- Et si sa fonctionne ?... Tu la mettras face au fait accompli...

- Si ça fonctionne... Mais qui voudrait faire le test ?

- Moi !

Elle trônait au milieu du salon, un air de triomphe sur le visage.

- Toi ?... Tu ne connais pas les risques encourus... répondit-il.

- Et alors ? Je te dis que je veux tenter l'expérience. Je n'ai rien à perdre.

Il se leva, fit les cent pas au milieu du salon.

Il a peur, pensa-t-elle.

- Je ne sais pas... Il faut que je réfléchisse...

Il se dirigea vers l'entrée. Il tenait la poignée de la porte lorsqu'il sentit qu'on le retenait par l'épaule.

- Réfléchis si tu veux, mais c'est notre unique chance...

Sans lui jeter un regard, il s'en alla.

- Enfin... C'est mon unique chance...

Le Rêve de Mary (En Réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant