Chapitre 10 : le démon en toi

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Ça commençait toujours de la même manière. C'était d'abord une idée étrangement fixe comme un ciel orangé qui ne s'assombrissait jamais davantage ou un crocodile aux crocs tellement long qu'il ressemblait à un tigre aux dents de sabre. Une idée ridicule, saugrenue tout au plus, et qui aurait l'air des plus étranges au réveil. Ce n'était que l'ébauche d'un rêve. Un monde de perceptions inconnues que Kimiko aurait aimé explorer davantage.

Elle n'en avait pas la possibilité, alors qu'elle tentait de toutes ses forces de rester accroché à l'idée merveilleusement inattendue qui s'étalait devant elle, elle se fit tirer dans cet autre espace. Le rêve s'étiolait, se déchirait et bientôt, il n'en resterait plus la moindre trace.

Elle aurait adoré le vivre, sentir son cœur se mettre à palpiter sous l'angoisse et se réveiller en hurlant à moitié devant une horreur totalement infondée. Juste un cauchemar. Mais la prise était forte sur son corps et bientôt, elle fut abandonnée là, juste devant ce qu'elle ne voulait pas voir.

Ce n'était pas un cauchemar. Pas vraiment. Elle tremblait comme une feuille, mais elle s'efforça de garder les yeux ouverts. Elle fit de son mieux pour ne pas plaquer ses mains contre ses oreilles dans une volonté folle de ne pas entendre ce qui se déroulait là. Ça ne fonctionnait jamais, mais ça ne l'empêchait pas d'essayer, nuit après nuit.

Il était là. Sushil était là. Pendant longtemps, elle avait cru qu'il n'existait simplement pas. Ce n'était qu'un être terrifiant animant des cauchemars plus vrais que nature. On le lui avait répété bien souvent. Et puis ... et puis, elle s'était montrée idiote et imprudente. A présent, tout ce qu'elle pouvait faire, c'était d'utiliser ces moments de son mieux. Elle devait trouver un indice, quelque chose à utiliser, quelque chose qui lui permettrait de fuir, de l'autre côté, dans le monde réel.

L'homme avait une barbe de plusieurs jours qui lui mangeait le visage et des cernes épaisses transformaient le reste de ses traits. Cela faisait longtemps à présent qu'il arborait une telle apparence. Des cheveux mal taillés, des habits trop vieux pour retenir les courants d'air et des chaussures râpées, usées jusqu'à la corde. Malgré tout ça, il bougeait vite, il se mélangeait aux ombres, marchait le long des rues loin de la vue de tous. Il restait totalement inconscient du regard qu'elle posait sur lui. Il ne se retournait jamais vers elle et lorsqu'elle hurlait de toutes ses forces, il ne frémissait même pas. Elle n'était qu'un fantôme, spectatrice incapable d'intervenir pour modifier quoique ce soit.

Comme une valse trop répétée, elle observa les pas de danse cherchant une faille, quelque chose, quoique ce soit. Il marchait vite, il ne boitait pas, il ne semblait pas souffrir de ses blessures. Il se glissa dans l'angle de la rue, à moins d'une centaine de mètre de la décharge qu'il avait décidé d'employer. Ça, elle l'ignorait, mais elle savait que la tombe était déjà creusée. Elle savait qu'elle était là, dans les environs. Elle savait tout cela. Elle ne chercha pas l'emplacement, elle devrait le voir à un moment ou un autre. Ce serait encore le pire.

Un homme passa, juste là, devant le meurtrier, mais Sushil ne bougea pas. Il ne s'élança pas. Il resta dans les ombres jusqu'à ce qu'un autre homme arrive. C'était toujours un homme. Sushil ne tuait ni femme, ni enfant. Elle pouvait au moins lui reconnaître ça. Il ne cherchait pas les victimes les plus faibles, les plus maigres ou les plus faciles d'accès.

Il bondit soudain et le bruit de son corps cognant celui de sa proie fut effroyablement fort. Il résonna dans les tympans de la jeune femme. Plus par réflexe qu'autre chose, elle secoua la tête et hurla :

- IIE !

Mais bien-sûr, ça ne l'arrêta pas. Les bras s'enroulèrent autour du cou de sa victime. Elle ne put qu'observer ses yeux qui se révulsaient et ses lèvres qui changeaient lentement de couleur. L'horreur peignait ses traits, les rendant presque surnaturels. Et elle, elle était impuissante. Son corps traversait littéralement celui des personnes qu'elle pouvait croiser. Elle ne pouvait pas s'accrocher à ses doigts pour lentement défaire sa prise. Elle ne pouvait pas lui arracher les yeux, lui déchirait la peau, se suspendre à ses oreilles ou jeter ses genoux dans son entrejambe. Elle ne pouvait pas lui jeter un sac, un pavé ou quoique ce soit d'autres au visage. Elle était juste là, impuissante, à attendre le dernier souffle du condamné.

La princesse des songesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant